Corps de l’article

1. INTRODUCTION

Au Québec, la proportion de personnes de plus de 65 ans compte désormais pour plus de 20 % de la population. L’essentiel de la croissance démographique étant situé dans ce groupe d’âge, qui devrait atteindre 25 % en 2031, on peut s’attendre à une augmentation importante du nombre de québécois vivant avec un trouble neurocognitif majeur (TNCM) (ISQ, 2022). Les TNCM affectaient plus de 100 000 Québécois en 2008 et l’on prévoit une augmentation au nombre de 180 000 en 2030 (MSSS, 2022). L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) considère d’ailleurs les TNCM comme une priorité de santé publique dans son programme « Combler les lacunes en santé mentale » (OMS, 2012). Parmi les manifestations associées aux TNCM se trouvent les symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SCPD). Selon l’International Psychogeriatric Association, les SCPD sont définis comme des symptômes des troubles de la perception, du contenu de la pensée, de l’humeur et du comportement fréquemment observés chez les personnes vivant avec un TNCM (Finkel, 1999). Les critères diagnostiques du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-5) (APA, 2013) considèrent les SCPD comme des manifestations cliniques associées au diagnostic probable d’une maladie d’Alzheimer ou d’autres TNCM.

Ces symptômes sont ubiquitaires, leur prévalence atteignant jusqu’à 97 % des patients sur 5 ans d’évolution. Les plus fréquents sont la dépression (77 %), l’apathie (71 %), l’anxiété (62 %) et les délires (60 %) (Steinberg et coll., 2008). Non traités, ces symptômes sont associés à une aggravation et une accélération de la détérioration cognitive et fonctionnelle, et à une augmentation de la mortalité (Hinton et coll., 2008). Les symptômes les plus fortement associés à la détérioration fonctionnelle sont les hallucinations, l’anxiété, la dépression, les délires et l’agitation, tous susceptibles de répondre aux interventions des équipes ou services de santé mentale. De plus, ils augmentent la détresse des aidants de façon significative et sont liés à de l’épuisement, à une détérioration de la qualité de vie et à un hébergement précoce (de Vugt et coll., 2005). Ils sont également liés à l’utilisation de contentions chimiques et physiques, malgré les risques associés. Ils entraînent des coûts additionnels pour le système de santé ainsi que pour les proches aidants devant assumer le maintien à domicile (Algase, 1996 ; Herrmann, 2006 (Canada)). Un repérage précoce des SCPD et une évaluation complète des causes potentielles (médicales, pharmacologiques, psychosociales, environnementales) revêtent une importance cruciale pour intervenir de la manière la plus appropriée et individualisée possible et prévenir la détérioration pronostique et de la qualité de vie. Ces symptômes expriment une problématique sous-jacente qui ne peut être exclusivement gérée par une approche pharmacologique. La plupart des guides de pratique recommandent d’ailleurs d’intervenir d’abord avec des approches non pharmacologiques (Chenoweth et coll., 2018).

Au Québec, la prise en charge des SCPD a longtemps été déficiente. Le Rapport du comité d’experts en vue de l’élaboration d’un plan d’action pour la maladie d’Alzheimer de 2009 faisait état d’une accessibilité limitée à des interventions pour le traitement et la gestion des SCPD au Québec (Bergman, 2009). On y décrivait notamment des situations de crise et d’épuisement vécues par les proches aidants, qui exigeraient pourtant une réponse rapide et adaptée. Le rapport mentionnait également l’absence ou la faiblesse de la formation des professionnels à propos des SCPD, ce qui conduit à une prise en charge sous-optimale de cette problématique et à la surutilisation d’antipsychotiques ainsi qu’à la dévalorisation du travail des intervenants.

Pour pallier ces manques, le rapport proposait le développement de la capacité de la 1re ligne dans la prise en charge des TNCM et recommandait la mise en place d’équipes ambulatoires (1 médecin expert, 1 infirmière, 1 clinicien psychosocial, 1 coordonnateur) pour gérer les SCPD modérés et graves, accessibles à l’ensemble des soins primaires et des ressources d’hébergement. Les rôles attribués à ces équipes consistaient à évaluer et établir un diagnostic spécifique aux SCPD, élaborer un plan d’intervention individualisé sur les plans pharmacologique, psychosocial et environnemental, et offrir de l’accompagnement clinique et de la formation. De plus, le rapport recommandait la mise en place d’équipes surspécialisées de gérontopsychiatrie pour appuyer les équipes SCPD ambulatoires locales dans les cas les plus complexes afin de contribuer à la qualité de la démarche clinique, aider les administrations à assurer la couverture des services professionnels des équipes SCPD (incluant la mise en place de la télésanté), assumer le leadership du développement de la recherche, élaborer des guides de pratique, des outils d’intervention, et des programmes de formation, et participer à l’évaluation des technologies et des modes d’intervention concernant les SCPD.

Pour faire face aux défis que représentent les TNCM en général, et les SCPD en particulier, le MSSS a lancé l’Initiative ministérielle en matière de TNCM en 2013 (MSSS, 2013). Cette initiative visait un changement de culture organisationnelle dans la façon de répondre aux besoins des personnes vivant avec une telle condition de santé (Guillette et coll., 2018). Cette initiative se distingue de plusieurs politiques internationales par la priorité accordée aux soins primaires et aux aspects sociaux. Les projets soutenus par l’initiative visaient la création d’un cadre d’intervention clinique collaboratif afin de répondre le plus adéquatement possible aux besoins de cette clientèle en termes d’accessibilité, de continuité et de qualité des services offerts. L’Initiative ministérielle (MSSS, 2014) s’est d’abord incarnée en 19 projets d’implantation locaux, en identifiant et expérimentant localement les pratiques les plus prometteuses (phase 1 de l’initiative). Lors de la première phase, les paramètres organisationnels des équipes SCPD ont été définis, des outils d’évaluations et guides de pratiques cliniques et organisationnelles (MSSS 2018 ; INESSS, 2017 ; INESSS, 2021) ont été développés, ainsi que des programmes de formation en présentiel et en ligne (MSSS, 2018). Il y eut également la mise en place progressive d’une gamme de services destinés aux proches aidants, notamment en collaboration avec la fondation l’Appui aux aidants et les Sociétés Alzheimer. Sur la base de ces projets d’implantation, et à la suite d’une évaluation systématique par un groupe de recherche indépendant, l’Initiative ministérielle a permis, lors de sa phase 2 (2016-2019), la création, la consolidation ou l’expansion, selon les contextes locaux, d’équipes spécialisées en gestion des SCPD sur l’ensemble du territoire québécois. Ces équipes sont soutenues encore aujourd’hui par une communauté de pratique.

L’expérience acquise par ces équipes et l’impact de la pandémie sur leur pratique émergente (augmentation des besoins, déstabilisation des équipes, ruptures dans les trajectoires de soins, etc.) font en sorte qu’une mise à jour des recommandations encadrant ces équipes était devenue nécessaire. Pour cette raison, le MSSS a mandaté des chercheurs pour brosser un portrait des pratiques actuelles en matière de SCPD et formuler des recommandations pour leur amélioration. Ainsi, dans le cadre d’un devis qualitatif, une recension des écrits scientifiques sur l’organisation des services pour les SCPD et des entrevues ont été effectuées. Par la suite, un groupe d’experts a été constitué afin de formuler des recommandations au MSSS. Les objectifs de cette étude et du groupe d’experts étaient de :

  1. Réviser les pratiques organisationnelles et cliniques, ainsi que les trajectoires de soins en matière de SCPD ;

  2. Proposer un processus interprofessionnel de prise en charge axé sur les meilleures pratiques ;

  3. Conseiller le MSSS sur l’implantation de mesures nécessaires pour assurer l’accessibilité à des services cliniques sécuritaires et de qualité.

2. MÉTHODOLOGIE

a. Recension des écrits scientifiques

Tous les textes pertinents publiés entre 2015 et 2022 ont été recensés. Les banques de données suivantes ont été utilisées : 1) Abstract in Social Gerontology ; 2) AcademicSearchComplete ; 3) Ageline ; 4) CINAHL ; 5) ERIC ; 6) International Political Science Abstracts ; 7) MEDLINE withfull text ; 8) PsycARTICLES ; 9) PsycEXTRA ; 10) PsycINFO ; 11) Social WorkAbstracts ; 12) PubMED ; 13) SocINDEXwithfull text ; 14) CAIRN et 15) Érudit. Elles ont été interrogées avec les mots clés : symptômes comportementaux et psychologiques de la démence, pratiques organisationnelles, organisations des soins, expression comportementale, en français et en anglais.

Figure 1

Le diagramme de flux PRISMA

Le diagramme de flux PRISMA

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L’analyse a porté sur un total de 37 textes satisfaisant les critères d’inclusion. Une recherche dans la littérature grise a aussi été faite à l’aide des mêmes mots clés. Au total, 16 références ont été ajoutées.

Les informations ainsi collectées ont permis l’élaboration d’un modèle logique. Ce modèle logique a été élaboré en suivant les recommandations méthodologiques de Tremblay et coll. (2013). Dans le domaine de la santé, les modèles logiques sont des outils efficaces puisqu’ils illustrent la relation existante entre les intrants d’un programme, les activités et les résultats attendus (Santé publique Ontario, 2016). Ils constituent pour cette raison un excellent guide pour la réalisation de synthèses de connaissances et permettent d’identifier et de monitorer des indicateurs de performance en les insérant dans une vision intégrée. Ils peuvent en outre soutenir le travail de formulation de recommandations. Ce modèle logique présente ce qui fonde et devrait fonder l’action actuelle et à venir en matière de SCPD.

Le modèle proposé s’intéresse à l’efficience du processus d’implantation des innovations en déterminant le point de départ et d’arrivée. La compréhension de ce qui s’est passé entre ces 2 points permet l’identification des facilitateurs, des barrières et des stratégies à considérer pour atteindre les résultats escomptés.

b. Entrevues semi-dirigées

Un portrait des pratiques organisationnelles et professionnelles actuelles en matière de SCPD au Québec a été réalisé en 2020. Pour la sélection des participants aux entrevues semi-dirigées, une discussion préalable avec les 4 chargés de projets nationaux a été réalisée afin d’identifier les représentants les plus adéquats dans les CI(U)SSS. Ces chargés de projet assurent quotidiennement le soutien au déploiement de l’Initiative ministérielle pour chacun des territoires du Réseau universitaire intégré de santé et de services sociaux (RUISSS) des universités Laval, Sherbrooke, Montréal et McGill.

Les entrevues ont été effectuées auprès de chefs des services ambulatoires, de gestionnaires ou directeurs du programme de soutien à l’autonomie des personnes âgées, de chefs d’administration de programme et des équipes SCPD, de chefs de programmes hospitaliers de gériatrie et de gériatrie externe, de coordonnateurs des services aigus spécialisés gériatriques, d’infirmières cliniciennes spécialisées en SCPD, de chefs d’administration de programme responsables du soutien à domicile (SAD). La diversité des rôles occupés par les participants offre un éventail intéressant de vécus significatifs afin de bien saisir la réalité du terrain dans toute sa diversité. Un total de 26 répondants a finalement participé aux entrevues.

La grille d’entrevue a été constituée de manière à obtenir un portrait global des pratiques organisationnelles et professionnelles actuelles en matière de SCPD. Les questions portaient principalement sur la description des équipes SCPD, l’historique de leur constitution, les actions posées dans les différents milieux (SAD, Groupe de médecine de famille [GMF], hôpital, centres d’hébergement et de soins longue durée [CHSLD], résidence privée pour aînés [RPA], etc.), les difficultés rencontrées et les stratégies d’adaptation adoptées, la contribution de l’Initiative ministérielle dans le développement des pratiques en matière de SCPD, les préoccupations actuelles quant à la réponse aux besoins des usagers, les besoins en termes de formation, les éléments manquants pour l’amélioration de la réponse aux besoins des usagers et de leurs proches, le modèle d’équipe SCPD idéal et, finalement, la description d’une réalisation dont les équipes étaient particulièrement fières. En moyenne, les entrevues ont été d’une durée de 45 minutes. La stratégie d’analyse utilisée était celle proposée par Paillé et Mucchielli (2016), soit l’analyse thématique. Les thèmes abordés dans les corpus d’entrevue ont été repérés, regroupés et examinés systématiquement dans une structure de codification. Cette analyse s’est faite à partir d’une matrice catégorielle croisant les thèmes généraux de la recherche avec les résultats de la revue de littérature afin de permettre une analyse approfondie des données collectées. Le nombre de participants (n = 26) a permis d’arriver à une saturation des données. En effet, au fil de l’avancement de l’analyse des entrevues, une validation des données récurrentes a été effectuée.

Par la suite, les résultats de cette analyse ont été réanalysés au regard du modèle logique présenté plus bas, de façon à déterminer des zones de fragilité sur lesquelles pourraient agir des orientations ministérielles mises à jour.

3. RÉSULTATS 

a. Recension des écrits

Il ressort des écrits internationaux que les approches non pharmacologiques pour la clientèle SCPD devraient prendre davantage en considération l’environnement physique et social, le soutien au personnel soignant ainsi que les approches individualisées favorisant l’autodétermination des personnes vivant avec un TNCM (Caspar et coll., 2018). De plus, davantage de formation est nécessaire pour fournir les connaissances et les compétences dont le personnel soignant a besoin afin d’améliorer la gestion des SCPD dans leurs pratiques quotidiennes (Backhouse et coll., 2018). Aussi, les écrits internationaux mentionnent qu’une meilleure diffusion des lignes directrices de pratique mettant en garde contre le bénéfice limité des antipsychotiques pour la clientèle SCPD inciterait les praticiens à prescrire ces médicaments de manière plus optimale (Cousins et coll., 2017). Il est enfin nécessaire de mettre en place des approches préventives appropriées et de se concentrer sur la façon dont le personnel soignant fait face à ces situations (Nybakken et coll., 2018).

Tableau 1

Tableau comparatif entre le Plan Alzheimer Québec et les écrits internationaux récents

Tableau comparatif entre le Plan Alzheimer Québec et les écrits internationaux récents

Tableau 1 (suite)

Tableau comparatif entre le Plan Alzheimer Québec et les écrits internationaux récents

Tableau 1 (suite)

Tableau comparatif entre le Plan Alzheimer Québec et les écrits internationaux récents

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La recension des écrits montre l’importance des travaux de Austrom et ses collaborateurs (2017). Ce modèle formule 7 recommandations destinées à promouvoir le rôle des professionnels de la santé dans la prise en charge des personnes vivant avec un TNCM et présentant des SCPD. Les auteurs y mettent en lumière l’importance de l’éducation faite aux proches aidants pour maximiser le bien-être et la santé des personnes atteintes. Des recommandations spécifiques sont présentées quant à la gestion des SCPD par les approches non pharmacologiques et l’utilisation optimale des médicaments, si nécessaire. Le tableau 2 présente les initiatives complémentaires qui pourraient être prises par le Québec dans les prochaines orientations ministérielles en fonction des recommandations proposées par Austrom et collaborateurs. (2017).

Tableau 2

Pistes d’actions potentielles pour le Québec

Pistes d’actions potentielles pour le Québec

Tableau 2 (suite)

Pistes d’actions potentielles pour le Québec

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Des modèles d’organisations de service complets et inspirants existent au niveau canadien et européen. Le modèle d’organisation des soins SCPD en Ontario s’appelle Behavioural Support Ontario (BSO). Certains de ces services sont décrits dans le recueil des services de santé mentale pour les personnes âgées de la Commission de la santé mentale du Canada (2019). L’Ontario s’est doté d’une telle organisation (Commission de la santé mentale du Canada, 2019 ; BSO, https://www.behaviouralsupportsontario.ca) via la création d’un système flexible, adapté et coordonné incluant des équipes communautaires spécialisées en gérontopsychiatrie, des postes d’infirmières spécialisées en comportement en milieux de soins de longue durée, des unités comportementales courte et longue durée, des budgets spécifiques et des services de transition pour cette clientèle. L’Europe s’est également dotée d’un parcours de soins SCPD avec le projet ALCOVE (Krolak-Salmon, 2016) via la mise en place d’unités spécialisées, de structures de répit et d’équipes mobiles pour SCPD. Ces équipes couvrent le domicile privé ou institutionnel et incluent infirmière, psychologue, gériatre et psychiatre.

b. Entrevues semi-structurées

Portrait actuel des équipes SCPD

Les données collectées montrent que plusieurs initiatives locales en matière de SCPD existaient avant l’Initiative ministérielle. Celle-ci est venue consolider les équipes SCPD et permettre leur diffusion. Ces dernières sont constituées en majorité de 2 ou 3 professionnels, dont principalement des infirmières cliniciennes, des techniciennes en éducation spécialisée et des gériatres ou neuropsychologues (en consultation uniquement). La principale difficulté vécue par les équipes SCPD se situe au niveau du recrutement de personnel qualifié et de leur stabilité. Elles interviennent essentiellement dans les résidences intermédiaires, les résidences pour personnes âgées et à domicile. On remarque qu’elles sont très peu actives en CHSLD puisque des compétences internes y sont disponibles. La collaboration n’est cependant pas optimale avec les GMF, ce qui représente un enjeu pour la majorité des équipes SCPD. En effet, ces dernières sont souvent rapidement interpellées par les professionnels de 1re ligne alors que des actions auraient pu être posées en amont. Il en découle un référencement parfois trop précoce vers les équipes SCPD, ce qui ne favorise pas une collaboration interprofessionnelle optimale ni un accroissement des capacités au plus près des milieux de vie des personnes manifestant des SCPD.

Impacts de l’Initiative ministérielle

Assurément, l’Initiative ministérielle a permis la constitution ou la consolidation des équipes SCPD, selon les contextes locaux, ce qui est une avancée importante pour l’ensemble du Québec. Néanmoins, un travail d’optimisation de la mise en oeuvre de ces équipes reste à faire, notamment pour les régions plus éloignées pour lesquelles l’accès aux ressources spécialisées est plus difficile.

Formation et besoin d’accompagnement

Selon les résultats obtenus, il est possible d’affirmer que la formation reçue à propos des SCPD est pertinente et de qualité. Pour la suite, il faut néanmoins s’assurer de pérenniser les acquis dans un contexte de roulement rapide des personnels, et d’accélérer le transfert de connaissances vers les soins primaires et leurs partenaires afin de favoriser une prise en charge proximale dans les milieux de vie.

Les répondants estiment que la communauté de pratique a permis de consolider les apprentissages faits par les équipes SCPD (p. ex. discussion de cas), car elles sont accessibles et efficaces. De plus, les chargés de projet nationaux jouent un rôle essentiel, car ils facilitent l’arrimage entre les demandes ministérielles et le transfert d’informations vers les équipes SCPD sur le terrain, ce qui facilite la mise en oeuvre durable des innovations.

Attentes vis-à-vis du MSSS

Les résultats mettent en évidence la nécessité de pallier le manque de personnel qualifié et de soutenir l’accroissement des compétences en soins primaires, via le maintien de la communauté de pratique spécifique aux équipes SCPD et le développement de formations, notamment pour les proches aidants. Finalement, le besoin de directives claires quant aux difficultés vécues avec les GMF est crucial au bon fonctionnement des équipes SCPD.

Le soutien à la collaboration interprofessionnelle et intersectorielle

Les équipes SCPD souhaitent une prise en charge interprofessionnelle de la clientèle. Aussi, les régions plus éloignées bénéficieraient d’un accès à un médecin qui détient des compétences spécifiques en SCPD. Il apparaît que les infirmières spécialisées pour les SCPD sont un atout majeur pour les équipes SCPD, mais que trop peu ont la chance d’y avoir accès. Les équipes SCPD ont un réel besoin d’accompagnement dans l’optimisation des pratiques collaboratives avec les soins primaires. Les barrières à la collaboration sont de l’ordre des habiletés à formuler et divulguer un diagnostic sur les capacités fonctionnelles et cognitives des patients par les médecins généralistes, du mode de rémunération des médecins payés à l’acte qui n’est pas considéré optimal au regard du temps que nécessite cette clientèle, et de la structure organisationnelle de chaque clinique.

Malgré l’importance du dispositif d’accompagnement du changement, le leadership local fut parfois insuffisant pour agir sur ce déterminant. À cet égard, lors des entrevues, plusieurs participants ont mentionné ne pas être en mesure de déterminer clairement les cibles attendues quant à ce que les professionnels des soins primaires doivent mettre en place avant d’effectuer une référence aux équipes SCPD de 2e ligne. Ces ambiguïtés compromettent la qualité des rapports entre les équipes SCPD et les GMF. Par ailleurs, c’est un souci important des professionnels de 2e ligne, car ils estiment que cela a un impact sur la qualité de la réponse aux besoins de la clientèle SCPD.

Les résultats montrent également que les infirmières ayant développé une compétence spécifique aux TNCM constituent un vecteur de consolidation et de maintien de tout le continuum de services. Néanmoins, l’effort de formation doit se poursuivre au-delà des infirmières, car l’instabilité du personnel est une condition défavorable au maintien des acquis et au développement des capacités des équipes SCPD. Ces efforts doivent viser de nouveaux acteurs comme les responsables de RPA, les préposés aux bénéficiaires ou les proches aidants. De plus, les besoins de formation sont constants au sein des équipes SCPD et leurs partenaires, non seulement à cause du roulement important de personnel, mais également en raison de l’évolution des approches non pharmacologiques qui demandent un investissement de temps et d’énergie plus important.

c. Modèle logique

L’analyse des données nous a permis de formuler un modèle logique à partir duquel des cibles d’effets sont espérées de la mise à jour des équipes SCPD. Le contexte du modèle concerne, notamment, le vieillissement de la population, le renforcement des soins primaires, la reconnaissance des TNCM et les soins de longue durée. Il considère un peu les effets de la COVID-19, même si la quasi-totalité de nos données n’y faisait pas référence en raison du moment de leur collecte. Le modèle logique a été élaboré à partir des données de la littérature et des entrevues semi-structurées présentées précédemment.

En premier lieu, le processus de problématisation et d’invention s’est opérationnalisé à travers des initiatives locales SCPD parfois précurseurs au rapport Bergman (2009). Cette étape représente le point de départ du modèle logique. Suite aux recommandations du rapport, l’Initiative ministérielle a permis au processus d’implantation de s’enclencher à partir d’une forme restreinte du rapport Bergman. L’innovation s’est faite à travers 3 phases, soit celle des projets d’implantation ciblés (phase 1), celle du déploiement des meilleures pratiques cliniques et organisationnelles sur tout le territoire québécois (phase 2) et, finalement, celle de l’intégration dans les trajectoires de soins (phase 3, en cours). De ces 3 phases, un processus d’appropriation est nécessaire, d’abord dans le but d’obtenir des résultats à court terme, et, potentiellement à moyen et long terme.

Figure 2

Le modèle logique des pratiques professionnelles et organisationnelles en matière de SCPD au Québec

Le modèle logique des pratiques professionnelles et organisationnelles en matière de SCPD au Québec

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4. DISCUSSION

En appui sur les travaux précédents, un mandat a été confié par le MSSS à un comité d’experts portant sur la révision des pratiques cliniques et organisationnelles en matière de SCPD. Les objectifs inscrits dans le mandat concernaient la révision des pratiques organisationnelles et cliniques (incluant les trajectoires de services), dans la perspective de proposer une version améliorée du processus interprofessionnel de prise en charge et de suivi des SCPD. Aux termes de ces travaux, les membres du groupe de travail ont formulé des recommandations au ministère sur toute mesure jugée nécessaire pour assurer aux usagers visés l’accessibilité à des services cliniques sécuritaires et de qualité ainsi que proposer des actions pour l’implantation réussie de ces recommandations. Ces dernières se sont inspirées des résultats présentés précédemment. Comme toute recherche, la méthode de collecte de données comporte des limites. Dans ce cas-ci, l’échantillon d’entrevues est plutôt restreint. Néanmoins, au fil de l’avancement des analyses, une saturation de données a été atteinte.

Sous la direction de 2 médecins experts et spécialisés dans le domaine, 7 autres membres constituaient le groupe de travail, soit 1 médecin en GMF, 1 psychologue cheffe de programme provenant d’une équipe SCPD, 1 infirmière SCPD, 1 adjoint à la direction du programme de soutien à l’autonomie des personnes âgées (SAPA), 1 chercheur du Centre d’excellence sur le vieillissement de Québec, 1 conseillère de la direction générale des aînés du MSSS et 1 travailleuse sociale professionnelle de recherche (annexe 1).

Les principaux constats du groupe d’experts

De manière générale, une amélioration de l’accessibilité aux équipes SCPD, de même qu’aux équipes en gérontopsychiatrie de 2e et 3e ligne est constatée. Des actions telles que la mise en place d’un processus interprofessionnel, des outils mis à jour ou développés, et de la formation augmentée ont contribué à l’amélioration de la communication entre les différents acteurs de la trajectoire de soins. Malgré cette amélioration, l’accessibilité demeure fragile et les délais de prise en charge représentent une problématique persistante. Plusieurs facteurs pouvant expliquer les difficultés d’accessibilité qui subsistent ont été identifiés par les membres du groupe de travail sur les SCPD, tel que résumé dans la figure 3.

Figure 3

Facteurs expliquant les difficultés

Facteurs expliquant les difficultés

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La trajectoire de soin, dont les rôles et mécanismes d’accès aux équipes SCPD, reste à clarifier. Selon les experts du groupe de travail, les mécanismes de référencement à partir des soins primaires sont peu adaptés aux SCPD en raison notamment de la faible connaissance des GMF à cet égard. Cela rend le processus difficile, peu fluide et a pour effet de créer une offre de services à géométrie variable. De plus, les SCPD sont très peu dépistés au SAD en raison notamment d’un manque de clarté quant aux responsabilités distinctes de la 1re et la 2e ligne. Aussi, très peu de mécanismes de crise sont mis en place, certaines régions étant totalement dépourvues de ressources en la matière. À cela s’ajoute un manque de coordination et d’intégration des actions entre les différents intervenants et les différents paliers de soins. Ce manque de cohérence dans la trajectoire de soins provoque une importante variation dans les interventions effectuées par les équipes SCPD. D’ailleurs, les critères de priorisation ne sont pas toujours bien définis.

Du côté de la gérontopsychiatrie, encore plusieurs milieux ne possèdent pas d’offre de services en la matière. Cela a pour conséquence que le rôle des services médicaux spécialisés et surspécialisés dans le processus de référencement n’est pas clair. Des barrières organisationnelles et structurelles ralentissent le développement de la gérontopsychiatrie et rendent la collaboration non optimale entre les programmes SAPA et les services de santé mentale.

Dans ce contexte, un processus clinique spécifiquement pour les SCPD en soins primaires a été produit par le groupe d’experts. Dans un contexte de rareté des ressources, le processus clinique interprofessionnel en matière de SCPD se veut un outil concret pour soutenir les équipes de soins primaires. La fonction de pivot s’avère essentielle au sein d’une équipe interprofessionnelle. Cette fonction se retrouve très souvent sous la responsabilité d’une infirmière clinicienne. Cette dernière assure un lien direct entre l’usager, ses proches et le reste de l’équipe. En collaboration avec le médecin, l’infirmière clinicienne détient les compétences pour la prise en charge des usagers vivant avec des problèmes de santé complexes, dont les TNCM. Toutefois, selon les besoins de l’usager ou le contexte organisationnel, ce rôle peut également être confié à un autre professionnel.

Des conditions essentielles pour une prise en charge optimale des SCPD en soins primaires ont été définies, soit l’accompagnement au changement, la diffusion des outils, le soutien aux équipes cliniques dans le processus d’implantation et les stratégies de communication. Le développement et le maintien des compétences par le biais de formation et de mentorat, la consolidation d’une offre de service qui réponde aux besoins des usagers et à ceux de leurs proches en constituant des équipes qualifiées tout en assurant la pérennité des ressources financières, organisationnelles et humaines sont également des conditions essentielles. De plus, il importe de mettre en place les conditions favorables afin que la collaboration interprofessionnelle sous-tende l’ensemble des processus cliniques et l’ensemble des interactions avec les partenaires externes dans une perspective interorganisationnelle. La mise en valeur du partenariat avec l’usager, ses proches et de la collaboration avec les partenaires communautaires y est aussi primordiale.

Pour la 2e ligne (soins spécialisés), le groupe recommande la reconstitution ou la consolidation des équipes SCPD ambulatoires, en phase avec l’action prioritaire no 2 du Rapport Bergman (2009). Le défi associé à cette recommandation consiste à pouvoir créer les conditions nécessaires à l’accès aux soins et à des services de qualité pour pallier les problèmes d’accessibilité à des interventions pour le traitement et la gestion des SCPD.

De plus, les experts recommandent que ces équipes ambulatoires SCPD soient soutenues par des services spécialisés de gériatrie et gérontopsychiatrie. Ainsi, les médecins et équipes de GMF ou du SAD ainsi que les équipes SCPD doivent pouvoir avoir recours à des consultations spécialisées en gériatrie et gérontopsychiatrie selon les modalités organisationnelles de leur territoire. Ces consultations sont nécessaires et doivent être accessibles pour une clarification diagnostique (type de TNC, interface psychiatrie-TNC), avec un accès à un plateau technique d’investigations et pour des recommandations de prise en charge pharmacologiques et non pharmacologiques pour des cas plus complexes.

De plus, la création et la consolidation d’équipes surspécialisées de gérontopsychiatrie permettraient d’assurer les volets tertiaires pour le développement de l’enseignement, de la formation continue et de la recherche en ce domaine, d’assurer par le fait même la compatibilité et la qualité de la démarche et des approches des équipes SCPD ambulatoires locales, et de développer l’organisation de services, dont la télésanté. L’accès à des services en gérontopsychiatrie au Québec est limité par le faible effectif de gérontopsychiatres sur le territoire, l’absence de postes d’effectifs médicaux spécifiques à cette surspécialité entraînant une compétition avec les autres besoins de psychiatrie générale, la résistance de certains milieux de santé mentale à reconnaître les TNC comme une clientèle spécifique ainsi que l’absence de critères de référencement spécifiques à la gérontopsychiatrie dans les guichets d’accès en santé mentale. Plusieurs régions n’ont pas constitué d’équipes de gérontopsychiatrie sur leur territoire et les corridors de service sont variables et fragiles. Notons également que les clientèles présentant des comorbidités psychiatriques et cognitives ont actuellement très peu accès à des services, en lien avec des programmes de santé mentale et SAPA qui évoluent en silos.

Pourtant, la Commission de la santé mentale du Canada pour les aînés (Maccourt et coll., 2011) a émis depuis longtemps des recommandations quant à la constitution d’équipes mobiles de gérontopsychiatrie permettant la couverture régionale des consultations et des soins partagés en gérontopsychiatrie en provenance des médecins généralistes, des établissements de soins de longue durée, des services généraux en santé mentale, et des organismes communautaires. Ces équipes sont constituées d’un gérontopsychiatre, d’infirmières ayant des compétences en santé mentale et en gériatrie, de spécialistes en réadaptation (ergo, physio), et de neuropsychologues et psychologues ainsi que de travailleurs sociaux, selon des jalons de dotation d’un médecin gérontopsychiatre et de 5 professionnels par 10 000 aînés.

En résumé des conditions générales de succès sont définies par un financement et une reddition de compte récurrente pour chaque CI(U)SSS à la mise en place et à la pérennité d’équipe SCPD sur le territoire ; du personnel stable en nombre suffisant, bien formé et possédant l’expertise nécessaire ; la formation et la rétention de gérontopsychiatres au Québec et du financement d’équipes de gérontopsychiatrie ; une meilleure coordination et collaboration des directions SAPA et santé mentale dans la prise en charge des clientèles avec SCPD ; la nécessité d’aménager une offre de services en psychiatrie pour la clientèle avec SCPD ou à l’interface maladie psychiatrique et TNC ; la disponibilité et la flexibilité des ressources nécessaires de même qu’un fonctionnement souple permettant de répondre aux besoins rapidement et en temps opportun ; une démarche et des approches reconnues, fondées sur des faits probants, ainsi que des normes et des indicateurs de qualité ; et finalement des mécanismes et des critères explicites et harmonisés de référencement, bien connus des professionnels de la santé. Enfin, toutes ces pistes d’action doivent être soutenues par une stratégie forte de gestion du changement, sous le leadership du MSSS.

CONCLUSION

Le défi d’améliorer les pratiques cliniques et organisationnelles en matière de SCPD repose sur l’engagement du personnel clinique et sur la volonté collective de consolider une offre de service qui réponde aux besoins multiples et évolutifs des personnes vivant avec un TNCM et présentant des SCPD ainsi qu’à leurs proches.

En définitive, malgré les avancées constatées à la faveur de la mise en oeuvre de l’Initiative ministérielle, il importe d’améliorer la gestion des SCPD dans le continuum de soins et services au bénéfice des usagers et de leurs proches. À cette fin, les efforts de tous les acteurs clés doivent se conjuguer à ceux des usagers eux-mêmes et de leurs proches qui, en toute légitimité, souhaitent participer de manière toujours plus autonome à la gestion de leur santé globale.