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La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) est une résolution qui fut adoptée le 13 septembre 2007 par l’Assemblée générale des Nations Unies. Il s’agit d’un document international innovant par le fait qu’il établit des normes minimales pour tous les peuples autochtones et leurs membres à travers le monde. En effet, la DNUDPA enchâsse une diversité de droits collectifs et individuels en protégeant à la fois les droits civils et politiques, économiques, sociaux et culturels, mais aussi le droit à l’autodétermination et des droits propres aux peuples autochtones et à leurs membres.

La rédaction de la DNUDPA a été amorcée à la suite de critiques émises au début des années 1980, lesquelles soulignaient l’absence de norme internationale protégeant adéquatement les droits des peuples autochtones (Cobo 1983). Le Groupe de travail sur les populations autochtones de la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l’homme des Nations Unies, créé en 1982, adopta une première version du texte en 1994 (Léger 2007 : 145; Morin 2012 : 1). À partir de 1995, le Groupe de travail sur le projet de déclaration poursuivit la rédaction et la négociation jusqu’au 29 juin 2006, date à laquelle le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies adopta le texte (Léger 2007 : 145)[1]. Par la suite, le projet de Déclaration subit d’importantes modifications, notamment l’ajout de la mention faite à l’intégrité territoriale des États à l’article 46(1), avant d’être finalement adopté par les États membres de l’Assemblée générale des Nations Unies par un vote de 144 voix pour, 4 contre[2] et 11 abstentions. Après avoir fait pression sur le système des Nations Unies (Venne, 2011 : 565), des représentants des peuples autochtones participèrent à la rédaction du texte durant ces deux décennies et son contenu se transforma également au gré des débats avec les États (Léger, 2007).

Dans la foulée de la rédaction du texte de la DNUDPA et outre le fait que le mouvement international des peuples autochtones se solidifia durant cette période (Niezen 2003; Bellier 2012, Bellier & González-González 2015; Burger 2019; Dunbar-Ortiz Sambo Dorough, Alfredsson, Swepston & Wille 2015; Lightfoot 2016), plusieurs mécanismes onusiens ayant pour mandat la défense des droits des peuples autochtones furent créés. L’Instance permanente sur les questions autochtones a ainsi vu le jour à la suite de l’adoption en 2000 de la résolution 2000/22 du Conseil économique et social des Nations Unies. C’est en 2002 que le Secrétariat de l’Instance, basé à New York, est mis sur pied. L’Instance est créée dans l’objectif de mieux intégrer les enjeux autochtones au sein du système des Nations Unies, de coordonner les activités portant sur ces enjeux au sein du système, de procurer son avis aux organes des Nations Unies et afin d’y assurer une meilleure participation des peuples autochtones. Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones est créé en 2001 par la Commission des droits de l’homme des Nations Unies. Son mandat consiste à documenter la situation des droits des peuples autochtones par pays ou selon certaines thématiques (par exemple, parmi les plus récents, l’accès à la justice, le recours à la législation pénale contre les défenseurs autochtones ou encore, l’effet des changements climatiques sur les droits des peuples autochtones). Il consiste aussi à promouvoir les bonnes pratiques et médiatiser les cas de violation de droit les plus flagrants. Plusieurs chercheurs, diplomates ou militants autochtones et non autochtones ont occupé cette fonction depuis sa création, pensons à Rodolfo Stavenhagen, James Anaya, Victoria Tauli-Corpuz ou Francisco Calí Tzay. Le Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones est la dernière institution créée en 2007 par la Résolution 6/36 du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Il se compose de sept experts indépendants nommés par le Conseil et a pour mission de faire des études et des travaux de recherche pour doter le Conseil des droits de l’homme d’une compétence thématique en matière de droits des peuples autochtones. Les rapports thématiques les plus récents produits par le Mécanisme d’experts portent sur les droits des enfants autochtones, le droit à l’autodétermination des peuples autochtones et le droit à la terre. Selon certains, l’existence de ces mécanismes peut inciter les États à se conformer aux dispositions de la DNUDPA (Barelli 2009).

La DNUDPA est une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies dépourvue de valeur juridique, à ne pas confondre avec un traité international ayant une valeur contraignante pour les États qui le ratifient. À ce jour, le seul traité international en matière de droits des peuples autochtones demeure donc la Convention 169 relative aux peuples indigènes et tribaux, adoptée par l’Organisation internationale du travail en 1989. Toutefois, la DNUDPA a une valeur politique pour tous les États qui l’ont signée. De plus, depuis son adoption en 2007, elle a été incorporée à plusieurs instruments de droit interne, notamment à la Constitution de l’État plurinational de Bolivie en 2009, au droit fédéral canadien depuis l’adoption de la LoisurlaDéclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones par le parlement en 2021 et au droit de la Colombie- Britannique (DeclarationontheRightsofIndigenousPeoplesAct, SBC 2019, ch. 44). Elle est aussi en voie de l’être de différentes manières, comme le montre l’exemple venant de Nouvelle-Zélande/Aotearoa où la préparation d’un plan de mise en oeuvre est en cours[3]. En outre, elle est utilisée par des tribunaux de droit interne et international afin d’assoir leur argumentaire. Pensons par exemple au jugement de la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire Awas Tingni c. Nicaragua, rendu en 2001, qui utilise le texte de la DNUDPA avant même qu’il ne soit adopté, afin d’assoir le droit à la propriété collective des terres traditionnelles. Nous pouvons également faire référence à la série de jugements rendus par le Tribunal canadien des droits de la personne dans l’affaire portée par la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations, qui s’appuie sur le droit à l’autodétermination des peuples autochtones conféré à l’article 3 de la DNUDPA pour assoir le droit à l’autonomie des Premières Nations en matière de protection de l’enfance et de la jeunesse. Enfin, bien que cette position soit encore débattue (Barnabas 2017; Xanthaki 2009), certains auteurs considèrent que, tout comme la Déclaration universelle des droits de l’homme, la DNUDPA ou certaines de ses dispositions sont ou pourraient un jour remplir les critères pour être qualifiées de coutume internationale (Anaya et Williams 2001). Les dispositions de la DNUDPA deviendraient alors contraignantes pour tous les États, indépendamment de leur incorporation dans leurs droits internes respectifs.

Au-delà de ces débats, l’intérêt de la DNUDPA est de plus en plus concret au Canada et au Québec. D’une part, la LoisurlaDéclarationdesNationsUniessurlesdroitsdespeuplesautochtones, après plusieurs projets de loi qui, en quatorze ans (2007-2021), n’ont pas abouti, ouvre une période de mise en compatibilité des lois fédérales avec la DNUDPA et incite les parlements provinciaux à agir dans le même sens pour les lois provinciales. Au Québec, les membres de l’Assemblée nationale ont adopté une motion visant à reconnaître les principes et à s'engager à négocier la mise en oeuvre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones avec les Premières Nations et les Inuits (8 octobre 2019). D’autre part, certains groupes autochtones utilisent la DNUDPA devant les tribunaux québécois, pensons par exemple aux Innus dans l’affaire Innus de Uashat et de Manl-Utenam c. Hydro-Québec (2020 QCCS 3115, par. 27) ou dans l’affaire Uashaunnuat (Innus de Uashat et de Mani-Utenam) c. Compagnie minière IOC inc. (2014 QCCS 4403, par. 6). Dans le Renvoirelatif à la Loi concernantlesenfants,lesjeunesetlesfamillesdesPremièresNations, des Inuits et des Métis, rendu le 10 février 2022, la Cour d’appel du Québec affirme quant à elle que : « bien que cette Déclaration des Nations Unies n’impose pas des obligations qui lient le Canada sur le plan du droit international, elle constitue néanmoins un instrument international universel en matière de droits de la personne dont les valeurs, principes et droits sont une source d’interprétation du droit canadien » (notes omises)[4]. Malgré cette limite, la DNUDPA demeure un instrument pertinent pour servir de guide à des interprétations constitutionnelles novatrices, notamment à l’égard de l’article 35 de la Loiconstitutionnellede1982 (ibid., par. 513). Il faut dire aussi que la DNUDPA reformule un certain nombre de droits déjà reconnus à l’échelle internationale et dans des traités ratifiés par le Canada et qui ont, eux, une forme contraignante. La DNUDPA et les droits qu’elle reconnaît font donc aujourd’hui indéniablement partie intégrante du paysage juridique québécois et canadien et, bien que critiquée par certains (Venne 2011; Churchill 2011), elle est également identifiée par plusieurs comme comportant des fondements favorables au renouvellement des relations entre l’État et les peuples autochtones (Joffe, Hartley et Preston 2010; Commission de vérité et réconciliation du Canada 2015 : 24).

Cette volonté de faire d’un instrument de droit international un des fondements du renouvellement des rapports coloniaux est relativement récente dans le discours politique au Canada où le principe constitutionnel de la souveraineté parlementaire et les développements politico-juridiques propres aux rapports entre l’État et les peuples autochtones (traités, Proclamation royale de 1763, article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982), entre autres, ont historiquement limité l’importance accordée à ces instruments dans le contexte des droits des peuples autochtones (Borrows, Chartrand, Fitzgerald, & Schwartz 2019). On a aussi débattu longtemps et longuement, au Québec et au Canada, de la question de l’ancrage des droits des peuples autochtones dans le discours des droits humains (Otis 2005). Cette époque semble aujourd’hui révolue (Lightfoot 2010).

Si nous sommes bien devant un tel changement, on peut poser l’hypothèse que ce renouvellement dans le discours public s’explique par les particularismes de la DNUDPA et de son processus d’adoption. Les processus de résistance et d’intégration de cette norme doivent continuer d’être documentés (Gentelet et Samson 2020). Quant aux particularismes de la DNUDPA, une lecture de son préambule en donne un avant-goût. Ainsi, ce préambule rappelle certains des fondements, des justifications et des limites des droits fondamentaux des peuples et individus autochtones. Ce préambule est instructif à bien des égards : (1) il rappelle que la DNUDPA est un instrument de droit international qui prend assise sur les instruments qui la précèdent et s’interprète conformément aux autres règles de droit international, dont la ChartedesNationsUnies. En ce sens, il rappelle que, d’une part, les individus et peuples autochtones sont bénéficiaires de tous les droits humains garantis par les normes internationales et que, d’autre part, l’exercice de ces droits est sujet aux règles du droit international, lequel réserve formellement l’exclusivité de la souveraineté internationale aux États; (2) il invalide sans équivoque toutes les doctrines, politiques, pratiques fondées sur la supériorité des races; (3) il relève les injustices historiques subies par les peuples autochtones, notamment quant aux processus de dépossession territoriale; (4) il insiste sur la singularité des rapports entre les peuples autochtones et les États, notamment quant aux processus de colonisation des terres, territoires et ressources et quant aux processus de conclusion de traités, ainsi que sur la diversité des situations des groupes, nations et peuples autochtones; (5) il reconnaît la place toute particulière des familles et (6), tout en soulignant l’agentivité dont font preuve les peuples et individus autochtones eux-mêmes, il met en exergue les obligations des États et des institutions onusiennes quant à la promotion, à la protection et à la mise en oeuvre des droits. Le préambule positionne d’ailleurs la DNUDPA comme une étape importante du développement d’activités favorisant le respect de ces droits dans le système onusien. Finalement, le préambule met en lumière deux principes directeurs auxquels se rattachent toutes les dispositions de la DNUDPA. Il s’agit, d’abord, du principe d’égalité et de non-discrimination et, ensuite, du principe d’autodétermination. Ces deux principes permettent d’avoir une lecture transversale et cohérente de la DNUDPA. Ils permettent aussi de bien comprendre l’interdépendance qui caractérise les dispositions de la DNUDPA. À cela, il faut ajouter que la DNUDPA insiste sur les obligations des États, lesquelles sont mises en exergue dans la plupart de ses dispositions. Enfin, la portée multidimensionnelle de la DNUDPA renforce son originalité et sa pertinence pour réfléchir aux enjeux communs contemporains des peuples et individus autochtones.

Le numéro qui est présenté dans les prochaines pages poursuit l’objectif d’entamer une réflexion sur le ou les sens de la DNUDPA afin de démystifier cette déclaration dans le contexte singulier du Québec contemporain. Il mobilise des chercheurs et des chercheuses, leurs étudiants et étudiantes du Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones (CIÉRA) de différents horizons disciplinaires, auxquels il a été demandé de présenter les débats ayant eu lieu au moment de l’élaboration de la DNUDPA au regard de chacune des thématiques abordées, de même que de réfléchir aux enjeux, aux critiques et aux potentialités de la DNUDPA et de le faire, par exemple, à partir de leurs projets de recherche, partenariaux ou non. Pour cette publication, qui se veut être la première d’une série, les croisements disciplinaires ont été privilégiés afin d’ouvrir un espace de dialogue sur les différents sens de la DNUDPA et de travailler au décloisonnement des disciplines, ce qui nous semble nécessaire à cette étape. Il reste évidemment beaucoup à faire pour comprendre les sens que prennent ces dispositions pour les différents acteurs et, avant tout, pour les Premiers peuples au Québec. Ce premier numéro, de nature exploratoire, permet de toucher certaines des dispositions de la DNUDPA. Il aborde ainsi les thèmes de l’autodétermination et de l’autonomie (Farget, Motard, Fortin- Lefebvre : pp. 13-20), de l’identité et du statut juridique (Motard et Picard : pp. 21-28), des terres, territoires et ressources (Farget et Hébert : pp. 29-36), des arts et des patrimoines en milieux autochtones (Gagnon, Jérôme, Uzel : pp. 37-42), du droit au consentement préalable, libre et éclairé (Papillon et Rodon : pp. 43-50), des traités (Motard et Houde : pp. 51-58), ainsi que de l’éducation et de la transmission des savoirs culturels autochtones (Marcotte et Éthier : pp. 59-67). Il n’a pas la prétention d’épuiser la question des impacts potentiels de la DNUDPA, mais il souhaite insuffler un élan à la documentation de ces impacts, donner quelques clés de compréhension, contribuer à la création d’outils pertinents pour les organisations autochtones et étatiques ainsi qu’aux nations autochtones et ouvrir un espace supplémentaire de réflexion sur la portée de cet instrument international et son ancrage potentiel dans les contextes linguistiques, culturels, normatifs et sociopolitiques propres à chaque nation.