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Introduction

« Certaines régions de tradition industrielle ont montré qu’elles pouvaient revitaliser leur système de production. […] Cette recomposition du système économique local dépend de l’émergence des PME, de leur ancrage régional et du milieu. » (Maillat, 1988, p. 7). Ces mots sont les premiers du résumé du premier article publié dans le premier numéro de la Revue internationale PME (RIPME). Les PME, entités potentiellement abstraites, y sont envisagées à l’aune de leur contexte économique et s’inscrivent dans un territoire et une histoire. Depuis, la RIPME continue de diffuser les travaux de chercheurs ayant pour point commun de s’intéresser aux petites et moyennes entreprises, mais aussi à l’entrepreneuriat. Ce sont 35 années permettant d’aborder, de façon toujours plus fine, plusieurs facettes de ces deux champs de recherche.

De 1988 à 2020, 98 numéros de la RIPME sont parus[1] et ont été les vecteurs de 588 travaux scientifiques (articles et notes de recherche[2]). Témoin privilégié des interrogations des chercheurs intéressés par la taille de l’entreprise et l’entrepreneuriat (PME, petite entreprise, start-up, jeune entreprise, création…), la RIPME se caractérise par son ancienneté et sa précocité sur des thématiques plus que jamais d’actualité. En effet, Pierre-André Julien, Michel Marchesnay et Robert Wtterwulghe ont lancé la RIPME alors que les revues savantes sur le sujet étaient peu nombreuses (Éditorial, 1988) ; nous pouvons citer : Journal of Small Business Management (1963), American Journal of Small Business (1976), qui deviendra Entrepreneurship Theory and Practice en 1988, International Small Business Journal (1982) ou Journal of Business Venturing (1985). Family Business Review connaît son premier numéro en 1988 tandis que Small Business Economics et Entrepreneurship and Regional Development apparaissent, après la RIPME, en 1989, comme Journal of Small Business and Enterprise Development (1994) ou Strategic Entrepreneurship Journal (2007). Son ancienneté se double de son attachement à la langue française : la RIPME a pour mission de « protéger la langue française […] comme mode de diffusion de la recherche sur les PME et l’entrepreneuriat » nous rappellent St-Pierre, Raymond et Julien (2012, p. 10) en permettant la diffusion des travaux des chercheurs francophones ou francophiles sur le sujet, chercheurs qui peuvent également publier dans d’autres langues, dans d’autres revues. Les chercheurs trouveront ensuite dans la Revue de l’Entrepreneuriat (2001) ou Entreprendre & Innover (2009) d’autres revues spécialisées accueillant leurs travaux et contribuant au développement d’une communauté francophone en PME et entrepreneuriat (Lasch et Yami, 2008 ; Fayolle, 2011 ; Boissin, Castagnos et Guieu, 2000).

La publication des 588 travaux au sein de la RIPME résulte des intérêts thématiques des chercheurs et du jugement de la qualité scientifique et de leur pertinence par la communauté (évaluateurs et comité éditorial). Auteurs, évaluateurs, rédacteurs en chef ou associés forment un collège invisible (Venkataraman, 1997 ; Gartner, Davidsson et Zahra, 2006 ; Teixeira, 2011) actif également pour d’autres revues. Notre travail, en utilisant le cadre précis de la RIPME, peut permettre de décrire et comprendre l’évolution de la communauté en PME et en entrepreneuriat (Gartner, Davidsson et Zahra, 2006) à travers la mise en évidence des grandes tendances observables sur plus de 30 ans. Afin de définir les contours de cette communauté et comprendre son évolution en termes de questionnement, nous posons la question suivante : comment a évolué le discours scientifique diffusé au sein de la RIPME ?

Cette question peut être appréhendée en fonction des caractéristiques de production (nombre d’auteurs, internationalisation des recherches, copublications), mais surtout en fonction de la nature même des travaux envisagés sous l’angle des thèmes traités, notamment en regard des deux grands champs que sont la PME et l’entrepreneuriat. Ceci nous permettra de dessiner les contours de la communauté identifiable à travers les publications de la RIPME. Comme le suggèrent Audretsch, Guenther et Lederer (2022), l’existence d’une communauté scientifique sur des thèmes partagés est essentielle, car la communauté permet l’interaction entre ses membres. En raison de l’antériorité de la RIPME, l’analyse des textes publiés en son sein peut nous permettre de comprendre la structuration francophone et académique sur les thématiques des PME et de l’entrepreneuriat et tendre vers une meilleure compréhension de cette communauté de recherche (Gartner, Davidsson et Zahra, 2006). Si nous nous doutons que cette communauté évolue au fil du temps, nous n’avons pas encore de mesures précises de cette évolution. Notre investigation se fera de façon endogène à la revue bien que d’autres forces exogènes soient à prendre en considération (évolution de disciplines connexes comme la stratégie ou l’économie industrielle, importance grandissante des revues de langue anglaise pour les chercheurs du fait de leurs critères d’évaluation, engouement pour les thèmes en lien avec l’entrepreneuriat).

Cette étude permettra de caractériser et de distinguer les travaux orientés « PME » par rapport à l’« entrepreneuriat » afin d’envisager les convergences et divergences dans une revue qui, dès l’origine, et malgré ce que laisse penser son nom (bien que le nom d’une revue n’exprime qu’imparfaitement la diversité des sujets abordés (Audretsch, Guenther et Lederer, 2022), souhaitait aborder les PME, mais également l’entrepreneuriat (Éditorial, 1988). Notre question de recherche prend appui sur la thèse de Volery et Mazzarol (2015) pour qui la PME et l’entrepreneuriat sont des champs complémentaires qui permettent de constituer une véritable communauté académique, bien que réunissant différents groupes du fait des espaces de convergence (Gartner, Davidsson et Zahra, 2006 ; Grégoire, Noël, Déry et Béchard, 2006 ; Audretsch, Guenther et Lederer, 2022).

Les travaux scientométriques qui analysent les articles publiés au sein d’une revue donnée sont nombreux (McElwee et Atherton, 2005 ; Volery et Mazzarol, 2015 ; Laudano, Marzi et Caputo, 2018 ; Akpan, 2021). Afin d’apporter une lecture originale qui dépasse l’analyse de cocitations, nous retenons pour cette recherche une analyse lexicométrique permettant d’envisager les tendances de vocabulaire par période ainsi que les regroupements cohérents de formes. Landström (2020) estime en effet que différentes périodes caractérisent les travaux de recherche permettant de mettre à jour une spécificité de plus en plus importante au fil du temps. En complément, nous analyserons les données concernant les auteurs et les copublications. Après avoir présenté notre méthode et nos résultats, nous essayerons de déterminer les points de convergence entre la PME et l’entrepreneuriat.

1. Le(s) thème(s) de la PME et de l’entrepreneuriat : une frontière floue

1.1. Un dynamisme des recherches porté par un même élan

Depuis les années quatre-vingt, les PME et plus tardivement l’entrepreneuriat ont émergé dans les travaux académiques et sont maintenant en forte croissance en termes de thèmes, de revues et de chercheurs (Landström, 2020 ; Stewart, 2022). En effet, Gartner, Davidsson et Zahra (2006) constatent une nette accélération en ce qui concerne les revues spécialisées, les articles publiés, mais aussi les postes dans les institutions universitaires. Cette accélération touche tous les pays (Reader et Watkins, 2006). Ces thèmes sont maintenant considérés comme ayant une position privilégiée dans la littérature en management (Sahut et Peris-Ortiz, 2014 ; Busenitz, Plummer, Klotz, Shahzad et Rhoads, 2014 ; Shane et Venkataraman, 2000).

L’entrepreneuriat peut s’envisager de façon assez globale à l’instar de la proposition d’Audretsch (2019) : s’intéresser aux petites unités d’analyse dans le domaine des sciences sociales, notamment les entreprises individuelles ou nouvelles. L’intérêt d’étudier l’entrepreneuriat réside en ses vertus supposées concernant l’économie : croissance, baisse du chômage, amélioration de la qualité de vie… (Thurik et Wennekers, 2004) ; ces effets positifs étant mis en exergue par David Birch dans les années quatre-vingt. De fait, de nombreux efforts ont été déployés afin de soutenir l’entrepreneuriat et, en concomitance, les PME : sensibilisation, formation, accompagnement, financement, législation (Dejardin, Luc et Thurik, 2019). La délimitation de l’entrepreneuriat proposée par Audretsch (2019) retient trois éléments : la reconnaissance des opportunités entrepreneuriales, les actions mises en oeuvre afin de développer ces opportunités et l’importance du spatial.

Ainsi, il peut être tentant de fondre la PME dans l’entrepreneuriat à partir du moment où l’on envisage la transformation de nos économies en une économie entrepreneuriale en réponse à une économie managériale (Audretsch et Thurik, 2000). L’innovation doublée de la flexibilité supposée des PME, les ressources et capacités tirées du local ou un contexte toujours plus incertain caractérisent l’économie entrepreneuriale pour laquelle la taille réduite apparaît comme un avantage afin de se mouvoir dans les aléas environnementaux où l’individu peut trouver un terrain permettant de valoriser ses capacités ou ses potentialités (Dejardin, Luc et Thurik, 2019). Même si PME et entrepreneuriat sont deux champs différents, ils sont complémentaires, car issus d’une même filiation théorique (Sahut et Peris-Ortiz, 2014). Les efforts menés afin de développer l’entrepreneuriat (sensibilisation, accompagnement, accès au financement, législation…) s’inscrivent également dans des efforts favorisant l’entrepreneuriat organisationnel (Dejardin, Luc et Thurik, 2019). Thurik et Wennekers (2004) voient dans la PME un vecteur de l’entrepreneuriat. Si l’entrepreneuriat est bien un type de comportement plus centré sur les opportunités que les ressources, la PME peut permettre à cet état d’esprit entrepreneurial de proposer de nouveaux produits et processus pouvant transformer une industrie (Thurik et Wennekers, 2004 ; Sahut et Peris-Ortiz, 2014).

1.2. Un socle commun ?

Plusieurs travaux font une synthèse de la littérature académique sur l’entrepreneuriat (Ratnatunga et Romano, 1997 ; Landström, 2005 ; Kuratko, 2006 ; Grégoire et al., 2006 ; Teixeira, 2011 ; Xheneti et Blackburn, 2011 ; Schaper, Volery et Weber, 2014 ; Ferreira, Reis et Miranda, 2015 ; Chandra, 2018 ; Akpan, 2021). Il est intéressant de remarquer que la thématique PME est incluse au sein de ces synthèses. Lorsque Busenitz et al. (2014) cherchent à identifier des articles dans le champ de l’entrepreneuriat publiés dans des revues généralistes, ils vont retenir les mots-clés en lien avec « entrepreneuriat », mais aussi « PME ». Pour autant, le rapport entre PME et entrepreneuriat est envisagé de façon diverse.

Certains auteurs soulignent leur divergence (l’entrepreneuriat est dissocié de la PME, mais les deux sont proches ; Bruyat et Julien, 2001) et considèrent qu’il s’agit de deux champs académiques indépendants, mais fortement interconnectés (Sahut et Peris-Ortiz, 2014 ; Fayolle, 2011 ; Breen, 2004). Par exemple, Schaper, Volery et Weber (2014) vont distinguer la PME de l’entrepreneuriat. Les points de dissemblances vont concerner le potentiel de croissance (élevé en entrepreneuriat, plus limité en PME), l’importance de l’innovation (centrale en entrepreneuriat) ou la taille de l’entreprise (l’entrepreneuriat est observable dans les grandes entreprises également). Néanmoins, une spécificité réunit entrepreneuriat et PME : l’importance de l’individu (entrepreneur et dirigeant) bien que leurs aspirations soient différentes. Pour Schaper, Volery et Weber (2014), il s’agit du profit et de la croissance en entrepreneuriat tandis qu’en PME, il s’agit d’objectifs plus personnels.

Toutefois, Volery et Mazzarol (2015) objectent que l’innovation n’est pas toujours importante en entrepreneuriat et dans certains cas, elle peut l’être pour la PME. Le développement de l’entrepreneuriat social (Austin, Stevenson et Wei-Skillern, 2006) nous laisse penser que la recherche de profit et de croissance n’est pas l’unique direction vers laquelle l’entrepreneuriat est censé aller. La PME est aussi une étape entre la création entrepreneuriale et le développement en grande entreprise. Il est possible de reconnaître des compétences proches entre l’entrepreneur et le propriétaire-dirigeant (Volery, Mueller et von Siemens, 2015). D’ailleurs, Runyan et Covin (2019) considèrent que l’entrepreneuriat, en tant que champ d’études, prend ses racines dans les recherches menées sur les PME. Plusieurs auteurs montrent leur forte imbrication (l’entrepreneuriat et la PME regroupent des thèmes proches) voire l’étude d’un seul et même type d’entreprises (Meyer, Neck et Meeks, 2002). Certaines recherches englobent au sein d’une seule et unique métadimension la PME et l’entrepreneuriat (Wang, Jessup et Clay, 2013 ; Mullen, Budeva et Doney, 2009) : small business entrepreneurship pour Xheneti et Blackburn (2011) ou entrepreneurial venture pour Kuratko (2006). Notons également que les recueils consacrés aux grands auteurs associent PME et entrepreneuriat (Landström, 2005, en langue anglaise ; Messeghem et Torrès, 2015, en langue française).

L’identification des travaux reposant sur la PME et l’entrepreneuriat peut s’effectuer en fonction des journaux spécialisés ou de conférences sur le thème (Grégoire et al., 2006). Ratnatunga et Romano (1997) parlent de contemporary small enterprise research (nommé également par les auteurs small entrepreneurship research) sur la base des articles publiés dans six revues anglophones : Journal of Small Business Management (JSBM), International Small Business Journal (ISBJ), Entrepreneurship Theory and Practice (ETP), Journal of Business Venturing (JBV), Small Business Economics (SBE) et Asia Pacific International Management Forum (APIMF). L’identification des articles les plus influents leur permet de mettre en évidence des travaux et des thèmes orientés PME (par exemple : financement de l’entreprise, management, développement et croissance) ou entrepreneuriat (par exemple : caractéristiques de l’entrepreneur, éducation entrepreneuriale). Lorsque l’on s’intéresse aux principaux travaux cités dans les articles en entrepreneuriat, Schumpeter ou Penrose sont mentionnés parmi les plus influents (Grégoire et al., 2006 ; Teixeira, 2011 ; Ferreira, Reis et Miranda, 2015).

Durant les années quatre-vingt-dix, le terme « entrepreneuriat » va être utilisé pour parler de « PME » tant par les chercheurs que par les pouvoirs publics (Volery et Mazzarol, 2015). Les frontières entre PME et entrepreneuriat nous semblent perméables. L’analyse de la littérature nous laisse supposer une réelle compatibilité, notamment en regard de sous-thèmes et d’auteurs communs. L’analyse sur une longue période des travaux publiés dans une revue spécialisée peut nous aider à instruire ce débat.

2. La structuration de la communauté francophone de recherche en PME et en entrepreneuriat au sein de la RIPME

2.1. La revue scientifique, témoin de l’évolution d’une communauté

Les articles publiés au sein d’une revue scientifique au cours du processus de [soumission – évaluation – publication] vont être conditionnés par l’interaction entre trois grands types d’acteurs : les auteurs, les rédacteurs, les évaluateurs. Chacun se fera une opinion de la revue et de la soumission au regard de deux grands paramètres : la thématique et la scientificité de la revue concernée, mais aussi en fonction de l’environnement de recherche (autres revues, autres chercheurs, autres publications ou évolution des disciplines connexes). Nous pouvons supposer que numéro après numéro, au fil du développement de la science sur le sujet, la perception concernant les thématiques et la scientificité vont évoluer. Si l’on reprend le propos de Landström (2020), les attentes concernant des travaux en entrepreneuriat seront différentes et plus précises à partir des années deux mille, notamment avec des techniques statistiques plus complexes (Dean, Shook et Payne, 2007). Si nous n’allons pas, présentement, nous intéresser à la question de la scientificité – il existe des recherches qui recensent, par exemple, les différentes méthodes mobilisées au sein d’une revue (Dean, Shook et Payne, 2007 ; Mullen, Budeva et Doney, 2009 ; Xheneti et Blackburn, 2011) – nous allons nous préoccuper de la thématique. Il est entendu qu’un article publié atteindra un niveau suffisant de lien thématique avec la revue et de scientificité. En raison de son passé, la RIPME nous semble un bon témoin de l’évolution des recherches en PME et entrepreneuriat. En fonction de l’acceptation en son sein d’articles, la revue participe au processus de légitimation du champ de recherche (Xheneti et Blackburn, 2011). Cette évolution dépendra de la revue, mais également de l’environnement de la recherche (Figure 1).

Figure 1

Évolution de la recherche dans une revue disciplinaire

Évolution de la recherche dans une revue disciplinaire

-> Voir la liste des figures

Ainsi, en nous servant des publications d’articles dans la RIPME, nous allons essayer de comprendre quelles sont les principales évolutions en ce qui concerne les thématiques recensées. Nous allons notamment nous interroger en ce qui concerne les travaux dédiés aux PME et à l’entrepreneuriat (∆ thématique). Toutefois, comme ces thématiques découlent des décisions des auteurs, nous essayerons également d’identifier le profil des auteurs. De même, nous chercherons à savoir si les thématiques principales ont évolué notamment en observant les contributions des principaux auteurs de la RIPME. La dimension francophone des textes publiés est importante, car elle nous semble être un ressort de cette communauté de recherche. Xheneti et Blackburn (2011) font remarquer que les auteurs français sont assez peu présents dans les revues anglophones dédiées au Small Business & Entrepreneurship, car, selon eux, il existe des revues académiques dédiées en langue française. Toutefois, ce constat date d’il y a 10 ans et l’internationalisation de la recherche pousse de nombreux auteurs francophones à publier de plus en plus souvent dans des revues anglophones.

2.2. Une diversité de thèmes qui dynamisent la communauté scientifique

Les champs de recherche PME et entrepreneuriat évoluent au regard des différentes contributions permettant d’assoir leur légitimité (Hambrick et Chen, 2008), bien que cette légitimité continue à être discutée (Stewart, 2022). D’un point de vue historique, Landström (2020) envisage 50 ans de recherche en entrepreneuriat (en incluant les aspects PME) en identifiant les séquences suivantes : avant les années quatre-vingt, les travaux étaient produits dans d’autres disciplines (économie, sociologie, géographie). Le champ de recherche a commencé à se former dans les années quatre-vingt. À la fin des années quatre-vingt, l’entrepreneuriat évoluait dans le « paradigme de l’enfance » (Bygrave, 1989) du fait du recours fréquent à des méthodes et théories issues d’autres sciences. Les travaux dédiés à l’entrepreneuriat se sont multipliés durant les années quatre-vingt-dix permettant d’accéder à un âge d’or (années deux mille) qui a lui-même favorisé l’émergence d’un cadre plus précis au cours des années deux mille dix. Le nombre de chercheurs, de conférences et de journaux a continué à progresser (Landström, 2020) entraînant, de fait, un accroissement des travaux (Kuratko, 2006 ; Ferreira, Reis et Miranda, 2015) et une meilleure compréhension du phénomène. Le phénomène PME et entrepreneuriat est étudié dans plus de 50 journaux scientifiques (McElwee et Atherton, 2005) permettant à l’entrepreneuriat de devenir un sujet central des recherches à partir des années deux mille (Teixeira, 2011 ; Meyer et al., 2014 ; Ferreira, Reis et Miranda, 2015).

Différentes recherches dressent les tendances et régularités au sein du champ entrepreneuriat/PME en intégrant les textes parus dans différentes revues. L’analyse des résultats met en lumière une diversité des thèmes. Reposant souvent sur une analyse bibliométrique des citations et des cocitations, ces recherches mettent en avant la multiplicité des sujets abordés (Gartner, Davidsson et Zahra, 2006). Schildt, Zahra et Sillanpää (2006), sur la base de 30 journaux scientifiques sur seulement 5 années, constatent également cette fragmentation et identifient 25 groupes de travaux en entrepreneuriat, dont certains sont également applicables à la PME (survie, direction, apprentissage organisationnel, relation à l’industrie…). Sur une période plus longue, Ferreira, Reis et Miranda (2015) recensent les travaux publiés au sein de 17 journaux sur 30 ans et constatent le prisme large de l’entrepreneuriat qui va de l’entrepreneuriat naissant à la croissance de l’entreprise tout en insistant sur l’importance de l’étude des PME. Ces travaux peuvent se regrouper au sein de 14 thèmes différents. Chandra (2018) identifie 46 thèmes sur 24 ans. Meyer et al. (2014) font émerger cinq grands clusters sur une période de 20 ans : aspects cognitifs de l’entrepreneuriat, déterminants de l’entrepreneuriat, perspectives théoriques, financements, perspectives éclectiques (incluant les entreprises familiales, l’internationalisation des petites entreprises, stratégie de l’entreprise…). Reader et Watkins (2006) se concentrent sur les chercheurs les plus influents et les catégorisent en neuf thèmes. Cette diversité des thèmes traités conduit Grégoire et al. (2006) à considérer que la convergence conceptuelle concernant les travaux en entrepreneuriat est relativement faible et à noter une forte diversité des sujets abordés : identification et exploitation des opportunités, antécédents et conséquences de l’innovation et orientation entrepreneuriale de l’entreprise, contexte d’émergence des nouvelles entreprises, survie et croissance de l’entreprise, caractéristiques de l’individu entrepreneur, réseau social de l’entrepreneur, financement de l’entreprise, facteurs de performance pour citer les plus fréquents. Nous pouvons observer que certains de ces sujets peuvent concerner l’entrepreneuriat comme la PME.

L’analyse des travaux publiés au sein d’un journal unique est également fréquente afin de mieux comprendre la production d’une communauté donnée (Cossette, 1997 ; Volery et Mazzarol, 2015 ; Laudano, Marzi et Caputo, 2018 ; Akpan, 2021). Akpan (2021), au sein de Journal of Small Business & Entrepreneurship, fait émerger dix clusters thématiques qui peuvent se fondre en deux pôles : PME (croissance, performance, réseaux, RSE, développement économique) et entrepreneuriat (genre, opportunités, cognition, motivations, compétences). Volery et Mazzarol (2015) ont adopté une démarche similaire à la nôtre en ce qui concerne un journal proche de la RIPME, International Small Business Journal (nom de la revue scientifique qui pourrait se traduire en français en des termes identiques à la RIPME). Les auteurs constatent l’importance de small business au sein d’ISBJ durant 30 années. La thématique de la PME est la thématique la plus souvent abordée. Progressivement, notamment au cours de la période 2003-2012, les thèmes liés à l’entrepreneuriat, l’entreprise familiale ou la franchise ont émergé. Au cours des premières années d’existence d’ISBJ (1982-1992), les questions de la taille, de l’industrie, de l’éducation étaient importantes. Les auteurs soulignent l’importance de la PME dans une logique de développement économique. La seconde période (1993-2002) voit l’apparition plus marquée de « management », « relations », « croissance ». C’est au cours de cette période que des travaux plus prédictifs et exploratoires deviennent plus nombreux (avec des termes tels que « données », « échantillon »). La troisième période observée (2003-2012) voit un fort accroissement de l’entrepreneuriat (entrepreneurial, entrepreneurship). On y parle plus fréquemment de modèle théorique.

La plupart des recensions effectuées concernent des revues anglophones. Il nous semble utile de nous pencher sur le cas d’une revue comme la RIPME afin d’envisager, d’un point de vue historique, les grandes tendances observables.

2.3. Le cas de la RIPME

La RIPME, en tant que revue scientifique, est un acteur de l’écosystème de la recherche en PME et en entrepreneuriat de langue française au même titre que la Revue de l’Entrepreneuriat, Entreprendre & Innover, les congrès du CIFEPME ou ceux de l’Académie de l’Entrepreneuriat. Ces activités de recherche continues sur une même thématique, avec une récurrence des auteurs, favorisent la constitution de communautés de recherche qui tendent à converger (Grégoire et al., 2006 ; Xheneti et Blackburn, 2011 ; Audretsch, Guenther et Lederer, 2022). Les orientations d’une telle revue concourent à favoriser des recherches originales ayant la capacité à améliorer les pratiques tant en ce qui concerne la gestion des PME que du processus entrepreneurial. Par l’existence de ces revues et congrès, une vie autonome des idées est possible permettant de les considérer comme un champ d’étude spécifique plutôt qu’un sous-domaine du management consacré aux entreprises de petite dimension (Volery et Mazzarol, 2015 ; Xheneti et Blackburn, 2011). Ainsi, l’existence de revues et congrès spécialisés favorise l’émergence disciplinaire à travers le triptyque [Différenciation – Mobilisation – Construction de légitimité] de Hambrick et Chen (2008). L’histoire de la RIPME (35 ans) lui donne une place particulière dans la recherche sur ces thèmes et donc dans cet écosystème de la recherche. En s’intéressant aux PME et à l’entrepreneuriat, la revue profite de l’engouement des recherches sur cette thématique (Landström, 2020).

Ainsi, en nous demandant comment a évolué le discours scientifique diffusé au sein de la RIPME, et en fonction de notre revue de littérature, nous nous attendons à obtenir des résultats qui montrent la coexistence de la PME et de l’entrepreneuriat avec des éléments de convergence. En ce qui concerne les thèmes de la communauté des chercheurs de la RIPME, nous pouvons supposer que la RIPME va connaître un accroissement des travaux orientés entrepreneuriat, accroissement qui viendrait diminuer les travaux consacrés à la PME (Runyan et Covin, 2019). Par exemple, Akpan (2021) constate au sein de Journal of Small Business & Entrepreneurship un accroissement important de la thématique entrepreneuriale à partir de 2010. Les fonds de recherche consacrés à l’entrepreneuriat, envisagé comme créateur d’emploi, le développement de l’entrepreneuriat chez les étudiants, le développement des structures d’accompagnement ou encore l’existence de bases de données dédiées (par exemple, le Global Entrepreneurship Monitor) peuvent expliquer ce développement. Toutefois, les travaux consacrés à la PME restent majoritaires dans ces revues (Volery et Mazzarol, 2015). En ce qui concerne les caractéristiques de la communauté des chercheurs de la RIPME et en regard des résultats de Landström (2020), de Xheneti et Blackburn (2011), de Dean, Shook et Payne (2007) ou de Volery et Mazzarol (2015), nous nous attendons à un accroissement de la complexification en ce qui concerne les auteurs : un nombre plus élevé de coauteurs, une internationalisation plus forte, des collaborations internationales plus importantes.

3. Méthodes

Nous avons eu recours à une démarche d’analyse originale (dans le contexte de la RIPME) tout en poursuivant la réflexion sur la recension des travaux publiés dans cette revue comme l’ont produit Cossette (1997) ou St-Pierre, Raymond et Julien (2012). Nous avons donc travaillé sur les 588 articles et notes de recherche parus de 1988 à 2020 (mis à disposition par la base de données Érudit). Le découpage en périodes temporelles équivalentes est fréquemment mobilisé afin d’identifier les grandes tendances d’un domaine de recherche (Grégoire et al., 2006). Des périodes avoisinant les dix ans sont fréquentes dans ce type de recherche (Volery et Mazzarol, 2015). Nous avons donc procédé à un découpage temporel de 33 années de publications en 3 grandes périodes de 11 années : 1988-1998 (période 1)/1999-2009 (période 2)/2010-2020 (période 3) afin de disposer de périodes de comparaison relativement semblables en termes d’amplitude et de quantité. Précisons que ce découpage chevauche différents rédacteurs en chef de la revue[3]. Indiquons également que les notes de recherche ont été éliminées de la RIPME en 2009, ce qui peut entraîner des différences entre la période 3 et les périodes 1 et 2.

Nous avons ensuite recensé deux grands types d’informations au sein des 588 travaux : (1) les informations d’identification et (2) les informations de contenu. En ce qui concerne les informations d’identification, nous avons pris en considération les auteurs, le nombre d’auteurs par article et les pays respectifs. Cette approche a déjà été mobilisée dans le cadre des revues en PME et en entrepreneuriat (Xheneti et Blackburn, 2011). Les pays sont recensés au regard de l’institution de rattachement de l’auteur, bien que le pays de l’institution ne reflète pas toujours la nationalité du chercheur, notamment pour les plus jeunes d’entre eux. En ce qui concerne les informations de contenu, nous avons retenu les titres et résumés de chacun de ces travaux afin d’en analyser le contenu. Les titres et résumés nous semblent plus pertinents à analyser que les textes entiers, car ils vont condenser l’information jugée essentielle par les auteurs. C’est sur cette base que nous procéderons à une analyse lexicométrique. Notre démarche est proche de la méthode mobilisée par Volery et Mazzarol (2015) dans l’étude des travaux publiés au sein d’International Small Business Management.

Notre démarche s’inscrit ainsi dans une méthodologie permettant de saisir le sens des mots à travers le contexte d’emploi via le recours à l’analyse lexicométrique automatisée (Short, Broberg, Cogliser et Brigham, 2010 ; Mothe, Delfosse et Bocquet, 2021) qui peut être envisagée en parallèle de synthèses portant sur les analyses de citations (Xu, Chen, Fung et Chan, 2018 ; Grégoire et al., 2006 ; Boissin, Castagnos et Guieu, 2000). McElwee et Atherton (2005) soulignent, dans le cadre de l’entrepreneuriat et des PME, qu’il existe beaucoup de travaux basés sur les citations et cocitations, mais assez peu en ce qui concerne le contenu. L’analyse lexicométrique ou analyse des données textuelles s’inspire des travaux de Jean-Paul Benzécri dans les années soixante-dix (Mothe, Delfosse et Bocquet, 2021) et cherche à déterminer de grandes catégories permettant de qualifier les éléments constitutifs des textes, mais aussi de les quantifier à travers l’analyse de la répartition statistique du vocabulaire (Reinert, 2007) sans intervention du chercheur (notamment en ce qui concerne la codification, il s’agira alors d’une catégorisation a posteriori). L’analyse textuelle automatisée est un outil adapté à la recension des travaux au sein d’une revue (Cummings et Daellenbach, 2009 ; Liesch, Håkanson, McGaughey, Middleton et Cretchley, 2011 ; Volery et Mazzarol, 2015). Qui plus est, cette technique peut faciliter les revues systématiques de littérature (Kraus, Breier et Dasi-Rodriguez, 2020 ; Rauch, 2019).

L’analyse lexicométrique repose sur une transformation du texte d’origine. Dans un premier temps, un découpage du corpus en « segments de texte » est réalisé. Chaque segment de texte se caractérise par des mots distincts qui se nomment des « occurrences ». Ensuite, ces occurrences font l’objet d’une lemmatisation qui consiste à réduire les occurrences à leur forme canonique (par exemple l’infinitif d’un verbe conjugué, le substantif au singulier pour un nom ou encore un adjectif au singulier et au masculin en remplacement des différentes déclinaisons de l’adjectif). Cela aboutit à l’obtention de « formes ». Ces formes sont classifiées en formes « actives » et en formes « supplémentaires » ou mots outils (conjonctions, pronoms, articles définis et indéfinis, auxiliaires…). Les formes actives sont les formes porteuses de sens. Des mesures statistiques sont effectuées sur ces formes actives tant en termes de fréquence que de proximité au sein des segments de texte. Les formes statistiquement les plus proches sont regroupées en classes. L’analyse de cette proximité permet une analyse dite sémantique. Mothe, Delfosse et Bocquet (2021) soulignent le développement grandissant de ces techniques qui permettent de traiter d’importants volumes de données tout en préservant l’objectivité de l’analyse.

Le traitement statistique utilise l’analyse factorielle des correspondances ainsi que la classification descendante hiérarchique (CDH) selon la méthode Reinert (découpage par phrases) permettant de déterminer des classes de formes homogènes. À cette fin, nous avons utilisé le logiciel IRAMUTEQ. Cette phase de détermination des grandes classes de vocabulaire correspond donc à la catégorisation a posteriori. L’algorithme va mettre en évidence des grandes catégories en fonction de la fréquence de co-occurrences des différentes formes lexicales au sein de segments de texte (les phrases de chaque article) sans que le chercheur conditionne, d’un point de vue sémantique, la création de ces regroupements. Comme nous nous en apercevrons plus loin, nous avons ensuite procédé à une nouvelle classification sur la base des trois catégories validées par la CDH en fonction des termes en lien avec (1) la PME, (2) l’entrepreneuriat et (3) le contexte. Il s’agira alors d’une classification a priori puisque le chercheur, muni des classes lexicales qui apparaissent naturellement, va regrouper les travaux dans chacune des catégories. Ce regroupement s’opère non plus au niveau des segments de texte, mais au niveau de l’ensemble de l’article. Nous mènerons également une analyse structurelle par rapport aux auteurs et à leurs coauteurs ayant publié au sein de la RIPME sur la base de leurs copublications. À cette fin, nous effectuerons des représentations et des calculs portant sur l’analyse de la structure du réseau à l’aide du logiciel Gephi. Nous retiendrons des critères permettant la comparaison entre réseaux (Angot et Josserand, 2007). La figure 2 synthétise la méthode d’analyse suivie.

Figure 2

Méthode d’analyse

Méthode d’analyse

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4. Résultats

Nous avons recensé 588 articles issus du travail de 785 auteurs différents : 194 articles ont été publiés en période 1 (1988-1998), 184 en période 2 (1999-2009) et 210 en période 3 (2010-2020). La moyenne par période est de 196 (avec un écart type de 13,11). Depuis juin 2012, la RIPME retient 19 articles par an.

4.1. Description concernant les auteurs et leur pays de rattachement

En moyenne, un article est écrit par 1,8 auteur (minimum : 1 ; maximum : 6). Le nombre moyen d’auteurs est de 1,56 en période 1, 1,67 en période 2 et de 2,19 en période 3. Un test de significativité (test de Bartlett) indique que la différence est significative (< 0,001). En complément, le calcul du coefficient de variation (écart-type/moyenne) diminue comparativement en période 3 (0,46 (P3) contre 0,42 (P1)), laissant comprendre que le nombre d’auteurs est moins dispersé autour de la moyenne. En d’autres termes, nous constatons une fréquence de plus en plus élevée de l’écriture d’un article par plusieurs, signe d’une plus grande complexification des recherches publiées, mais aussi des nouveaux enjeux de la recherche au regard des contraintes institutionnelles (pression à la publication). Afin d’illustrer concrètement ce point, nous pouvons indiquer que les articles écrits par un seul auteur constituaient 55 % des articles publiés en période 1 contre 23 % en période 3. Le tableau 1 donne le détail du nombre d’auteurs par article au regard de nos trois périodes d’analyses.

Tableau 1

Fréquence du nombre d’auteurs par article en fonction des périodes

Fréquence du nombre d’auteurs par article en fonction des périodes

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Concernant les pays de rattachement des chercheurs, 39 pays différents ont été recensés. Afin de faciliter la compréhension des résultats, nous avons catégorisé les pays mentionnés en cinq catégories d’institutions : françaises, canadiennes, européennes (hors France), africaines et autres. Nous remarquons que 57,20 % des auteurs sont issus d’institutions françaises et 18,60 % d’institutions canadiennes. Les institutions européennes représentent 15,03 % tandis que 7,01 % sont africaines. Il reste 1,66 % qui vient d’une autre partie du monde. Les binationaux, en termes d’institutions de rattachement, représentent 0,38 %. Sur les 588 articles, la mention d’au moins une fois la France (65 %) est largement représentée alors que la mention du Canada compte pour 21 %. La Belgique, la Tunisie, l’Italie, le Cameroun, l’Espagne, l’Allemagne et la Suisse suivent avec des fréquences comprises entre 3 et 1 %.

Nous retrouvons ainsi des pays de culture francophone (Belgique, Tunisie, Cameroun, Suisse) ou proches de la France (Italie, Espagne, Allemagne). Notre décompte retient une seule mention par pays. Ainsi, un article publié par deux auteurs français, un Canadien et un Tunisien sera recensé comme une unité pour la France, une autre pour le Canada et enfin une dernière pour la Tunisie tandis qu’une recherche écrite par trois auteurs belges sera comptée comme une seule fois pour la Belgique. Notre but n’est pas ici de dénombrer les auteurs, mais l’appartenance d’un travail à un pays donné. Notons donc que la France et/ou le Canada concentrent 78 % des mentions différentes de pays. L’étude de l’évolution des pays mentionnés en fonction des trois périodes permet de constater un accroissement relatif des chercheurs français dans les articles publiés au sein de la RIPME. Le tableau 2 quantifie cette importance. Les articles comportant au moins un auteur appartenant à une institution française représentaient 51 % des articles publiés sur la période 1. En période 3, ce chiffre est de 77 %. La part du Canada est en recul (15 % en P3 contre 28 % en P1) comme celui des autres pays européens. En revanche, la présence de l’Afrique dans les articles publiés a triplé entre la période 1 (4 %) et la période 3 (13 %). Nous n’avons pas nécessairement l’explication de cette dynamique qui peut connaître plusieurs causes : développement de la recherche et des fonds dans certains pays, compétences en recherche plus développées, développement des collaborations… Au fil du temps, le centre de gravité des articles publiés par la RIPME s’est positionné vers la France. Précisons que des numéros spéciaux dédiés à des zones géographiques précises (RIPME Italie (1989, 2/2-3), RIPME Europe de l’Est (1992, 5/1), RIPME Afrique (1992, 5/3-4), RIPME pays germanophones (2008, 21/3-4) ont favorisé la présence de travaux hors France et Canada.

Tableau 2

Mention d’au moins un pays par rapport au nombre d’articles publiés

Mention d’au moins un pays par rapport au nombre d’articles publiés

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La représentation des copublications au sein de la RIPME (Annexe 2) permet de se rendre compte de la dimension centrale des auteurs canadiens. La taille des noeuds est proportionnelle au nombre total d’articles écrit par auteur. L’analyse de la modularité permet d’identifier 185 communautés (ou classe d’équivalence, en éliminant les textes écrits par un seul auteur sans copubliant) permettant la partition de l’ensemble des copublications. La plus grande communauté détectée (41 membres), délimitée au centre du graphe, a pour contributeurs principaux Pierre-André Julien, Josée St-Pierre, Louis Raymond ou Bruno Fabi. Si nous comparons la structuration du réseau canadien comparativement à la structuration du réseau français, nous pouvons indiquer une meilleure densité (0,012 contre 0,003) ainsi qu’un coefficient d’agglomération plus important (0,80 contre 0,72). Il apparaît donc que les chercheurs canadiens publiant au sein de la RIPME ont des liens plus étroits là où les chercheurs français sont plus dispersés. L’importance historique de l’Institut de recherche sur les PME[4] (Université du Québec à Trois-Rivières) peut expliquer cette différence. En ce qui concerne les chercheurs africains et européens, la densité est assez proche de celle des auteurs canadiens (cela peut s’expliquer par un nombre de contributions plus réduit), mais il est intéressant de noter que le coefficient d’agglomération est comparativement très faible pour l’Afrique (0,47) alors qu’il est plus important pour les Européens (0,93). Ces mesures indiquent un nombre plus faible de collaborations entre chercheurs africains dans leurs publications au sein de la RIPME.

Cette première description des articles qui se base sur le nombre d’auteurs et leur pays peut se compléter par la question des collaborations internationales. Selon notre décompte, 50 articles émanent d’une collaboration internationale et représentent ainsi moins de 10 % de l’ensemble des travaux publiés. Ce chiffre est a priori faible, mais il est en correspondance avec les résultats de Xheneti et Blackburn (2011) dans le cadre des revues anglophones. La collaboration Canada-France est la plus fructueuse (14 articles) suivie de France-Tunisie (5 articles). Il est particulièrement intéressant d’envisager la question des collaborations en fonction de la dynamique temporelle. Durant la période 1, seuls 7 articles (4 % sur l’ensemble des articles de la période) émanaient d’une collaboration entre chercheurs de pays différents. En période 2, ce chiffre passe à 14 (7 %) et atteint 29 articles en période 3 (14 %). Nous pouvons donc remarquer que la dynamique est à la croissance du nombre de collaborations internationales au sein de la RIPME bien que le chiffre soit assez faible. C’est un signe possible d’une plus grande complexité des recherches publiées. Afin d’avoir une vue plus complète, le sociogramme suivant (Figure 3) permet de quantifier la question des collaborations internationales par grandes zones. Ainsi, pour tous les articles mentionnant l’appartenance à la France, 92 % sont écrits uniquement avec des Français tandis que 4 % sont issus d’une collaboration avec au moins un auteur canadien. En revanche, parmi tous les articles mentionnant l’appartenance au Canada, 14 % ont été écrits avec au moins un auteur français. Nous pouvons ainsi remarquer que le travail au sein d’un même pays/zone est important pour la France, le Canada et l’Europe (> 80 %). Les travaux mentionnant un pays africain sont assez liés à une coécriture avec des auteurs français (29 %) et encore plus pour les articles venant des « autres » pays restants (43 %).

Figure 3

Les collaborations internationales

Les collaborations internationales

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4.2. Description et tendance des formes lexicales

De façon globale, plus les articles sont récents plus le titre et le résumé contiennent de mots (moyenne de 197 mots en période 3 contre 160 mots en période 1). En comptant les mots pour les titres uniquement, on passe, en moyenne, de 11,7 mots en période 1 à 14,8 mots en période 3. Le vocabulaire devient légèrement moins redondant (moyenne de 17 formes différentes en période 3 contre 15 en période 1). La présentation des formes les plus souvent utilisées (Annexe 1) indique, sans surprise, les termes consubstantiels à la RIPME : des « articles », des « études », des « recherches » « analysent » des « PME », type « d’entreprises » qui se caractérisent par des « dirigeants », des « processus », leur « développement », leur « gestion », leur « stratégie ». Nous remarquons que les formes « dirigeant » et « entrepreneur » sont parmi les formes les plus présentes. Il est intéressant de noter que nos résultats vont dans le sens de Volery et Mazzarol (2015) qui mettent en évidence les termes « entreprises » (companies, firms, entreprises), « développement », « activités » au sein d’International Small Business Journal. Les formes « entrepreneurial » et « entrepreneur » apparaissent, mais dans une moindre mesure. Toutefois, sur la dernière période, ces formes connaissent une importante progression (x 7,5 pour « entrepreneurial »). On observe un déclin des formes « PME », « entreprise », mais aussi « développement », « gestion », « système », « nouveau », « stratégie », termes qui peuvent être liés à l’entreprise déjà établie. À l’inverse, « recherche », « étude », « dirigeant », « processus », « entrepreneurial », « performance » sont des formes plus fréquemment présentes dans les périodes récentes. Cette tendance a également été remarquée par Volery et Mazzarol (2015).

Notre souhait d’avoir une représentation temporelle du vocabulaire nous conduit à mener une analyse factorielle des correspondances (AFC) sur la base des trois périodes. La figure 4 indique les 100 principales formes par période (la taille de la forme est relative au chi-2 de la période). Cette représentation permet de mettre en lumière les formes caractéristiques d’une période comparativement aux deux autres périodes. Le facteur 1 oppose un vocabulaire économique assez général à un vocabulaire spécifique à l’entrepreneuriat. Le second facteur s’appuie sur un vocabulaire plus stratégique applicable aux PME. Le schéma de l’AFC permet de repérer des formes qui étaient fréquentes dans les articles de la RIPME durant la période 1988-1998, mais moins par la suite (cadrant Sud-Est) : « industriel », « politique », « région », « système », « innovateur », « technologique », « grand » ou encore « PMI ». À l’inverse des formes nouvelles apparaissent durant la dernière période (cadrant Sud-Ouest) : « écosystème », « accompagnement », « créativité », « coopétition », « social », « étudiant ». Il s’agit de formes qui n’étaient pas beaucoup mobilisées au sein des articles dans les périodes précédentes. Nous constatons l’importance des formes « entrepreneurial » et « entrepreneur » durant la dernière décennie. Comme nous l’avons évoqué plus haut, les formes « PME » ou « entreprise », bien qu’en déclin dans leur utilisation au sein des articles, demeurent régulièrement mobilisées quelles que soient les périodes. Des formes ont été utilisées durant la deuxième période plus souvent qu’en période 1, mais ont perdu de leur présence (cadrant Nord) : « artisanal », « stratégie », « croissance », « connaissance », « groupe », « familial », « reprise », « avantage concurrentiel »… Cette évolution est à mettre en correspondance avec le profil des chercheurs publiant au sein de la RIPME. Au début de la vie de la revue, il s’agissait davantage d’économistes et de chercheurs en développement régional. Progressivement, les chercheurs en gestion, puis spécialisés en entrepreneuriat, ont publié de plus en plus de textes.

Figure 4

Résultats de l’AFC

Résultats de l’AFC

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4.3. Classification a posteriori selon le vocabulaire

La classification descendante hiérarchique (Figure 5) menée selon la méthode Reinert permet de mettre en évidence trois grands groupes de formes : la PME, l’entrepreneuriat et le contexte. Nos résultats vont dans le sens de l’analyse d’Audretsch (2019) qui retient la reconnaissance des opportunités entrepreneuriales (l’entrepreneuriat), les actions mises en oeuvre afin de développer ces opportunités (la PME) et l’importance du spatial (contexte). Le premier axe de cette AFC s’appuie sur un vocabulaire entrepreneurial tandis que le second axe oppose une unité d’analyse précise (l’entreprise) à une unité d’analyse plus globale envisagée sous des aspects économiques et géographiques.

Classe 1 : « les PME ». « Les PME » font référence aux entreprises déjà établies en prise avec des problématiques de management. Nous retrouvons ainsi les formes « PME », « entreprise », « firme », « dirigeant » (et dans une moindre mesure « propriétaire-dirigeant »), « pratique », « produit », « gestion », « client », « organisation », « réseau », « innovation ». Différentes tâches de management sont identifiables : « gestion des ressources humaines », « stratégie », « finance », « marketing », « comptabilité », « exportation », « système d’information », « technologie ». La famille (« famille », « familial ») se retrouve dans cette classe. Les aspects dimensions sont marquants au sein de cette classe : « taille », « moyenne entreprise », « petit ». La « performance », le « contrôle » ou la « pérennité » sont des objets étudiés. Cette classe est caractéristique de la première période de la RIPME (1988-1998) bien que le vocabulaire associé se retrouve durant les autres périodes (avec une moindre significativité). Cette classe se caractérise par la présence d’auteurs canadiens.

Classe 2 : « l’entrepreneuriat ». Il s’agit du vocabulaire en lien avec l’entrepreneuriat (« entrepreneuriat », « entrepreneurial », mais aussi « création d’entreprises », « accompagnement », « porteur de projets »). On y retrouve différents types d’entrepreneuriat : « social », « féminin », « étudiant » comme les formes en lien avec « l’intrapreneuriat ». Nous pouvons remarquer que les formes associées au « repreneuriat » (« repreneur », « repreneurial ») se retrouvent dans cette classe et non pas dans la classe 1. Les « processus », les « mécanismes » y sont observés tout comme la « créativité ». Cette classe a une présence significative sur la période la plus récente (2009-2019). Elle est significative pour les travaux dont les origines se trouvent en France et en Afrique. On remarque plus fréquemment un vocabulaire méthodologique (« recherche », « théorique », « concept », « littérature », « revue », « longitudinal », « scientifique »). Nous pouvons penser que l’arrivée plus récente des formes liées à l’entrepreneuriat coïncide avec des efforts méthodologiques plus explicites de la part des chercheurs.

Classe 3 : « le contexte ». Cette classe regroupe des formes intégrant les aspects économiques (« économie », « économique ») et l’organisation industrielle (« industriel », « sous-traitance », « secteur », « marché », « filière »). Nous retrouvons des éléments liés à la spatialisation : « pays », « local », « région », « régional », « tissu », « rural », « urbain », « réseau », « national », « district », « milieu ». Des noms de pays sont observables : « France », « Pologne », « Japon », « Allemagne », « Italie »… Nous pouvons considérer que cette classe regroupe les formes indiquant le contexte économique. Cette classe, dont la présence est significative sur la première période (1988-1998), est plus proche de la classe 1 que de la classe 2. Il semble s’agir du contexte d’évolution des PME. Les travaux provenant de l’Europe sont remarquables au sein de cette classe.

Figure 5

Visualisation de la CDH

Visualisation de la CDH

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L’existence d’un vocabulaire spécifique au contexte économique, progressivement délaissé, est en lien avec l’analyse de Julien (2008) qui considère que les premiers travaux abordant les petites entreprises venaient des économistes qui s’intéressaient à la reconversion économique de différentes régions. L’étude du développement des territoires a permis la prise en compte des entreprises de petite taille (St-Pierre, Raymond et Julien, 2012). Bien que notre découpage temporel ne soit pas identique à celui de Volery et Mazzarol (2015), nous constatons comme eux la prégnance de la dimension économique dans les premiers temps. Le vocabulaire plus managérial portant sur la croissance prend un poids significatif par la suite. Les perspectives méthodologiques sont mises en avant durant ces périodes. Les années plus récentes voient l’émergence du vocabulaire lié à l’entrepreneuriat. Nous ne constatons pas de véritable retard quant aux thèmes des textes publiés dans la RIPME en comparaison de son équivalent anglophone (ISBJ).

4.4. Analyse à partir de la classification a priori

4.4.1. Mesure de la catégorisation et évolution

Comme la classification nous permet de constater l’intérêt d’une identification des travaux publiés sur la base de (1) la PME, (2) l’entrepreneuriat et (3) le contexte, nous avons catégorisé les 588 travaux selon la présence ou non du vocabulaire spécifique dans les titres et résumés : (1) PME, TPE, moyenne entreprise, petite entreprise, PMI ; (2) entrepreneuriat, entrepreneurial, création d’entreprise, intrapreneuriat, start-up, repreneuriat ; (3) milieu, territoire, local, région, tissu, district, écosystème. Notre catégorisation sur ces formes permet d’intégrer à l’analyse la quasi-totalité des textes publiés (98 %). Il apparaît que la présence des termes en lien avec la PME est largement majoritaire (76 %, 448 textes mentionnent les mots-clés de cette classe sur 588 textes) suivi du contexte (35 %, 207 textes) puis de l’entrepreneuriat (27 %,157 textes). Des chevauchements sont possibles et la figure 6 permet d’envisager plus précisément la répartition. Ainsi, sur les 448 textes comportant un mot-clé en lien avec la PME, 44 % ne comportent aucun mot-clé provenant d’une autre classe, 23 % comportent des mots-clés en lien avec la classe de contexte, 7 % avec l’entrepreneuriat et 2 % avec l’ensemble des deux autres classes.

Figure 6

Répartition des textes

Répartition des textes

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En opérant de nouvelles AFC en séparant les textes « PME », « entrepreneuriat » puis « contexte », nous constatons que les textes « PME » se caractérisent de la façon suivante : durant la première période, la question de la taille (« petite entreprise » contre « grande entreprise ») permet de décrire un modèle économique ou d’identifier les caractéristiques de ces entreprises. Les fonctions managériales portent sur la « GRH », le « financement ». Le contexte se retrouve à travers la « région », le « marché », le « local ». Les « politiques publiques » y sont particulièrement discutées, on y évoque les « PMI ». En d’autres termes, la PME est envisagée comme une entité économique permettant le développement d’une région ou d’un pays. Lors de la seconde période, on voit apparaître plus significativement la notion de « TPE » et « d’artisanat ». La « stratégie » et les « pratiques » sont plus souvent mentionnées. La question de la « croissance » y est particulièrement abordée. La dernière période met en avant un vocabulaire qui va porter sur la « performance ». La place du « dirigeant » y est très forte (alors qu’auparavant, on parlait de « propriétaire-dirigeant »). On retrouvera des formes stratégiques plus complexes comme « l’hypercroissance », la « coopétition ». Le contexte évoqué concernera plus souvent l’internationalisation. Cette dernière période marque un intérêt pour la « RSE », le « capital social », le « repreneur », les « capacités dynamiques ».

Les textes « entrepreneuriat » peuvent être analysés comme suit : la première période contient un nombre réduit de textes (seulement 19 sur 194). L’emploi de « création d’entreprise » et du « comportement » du créateur est fréquent. La seconde période (50 sur 184) mobilise de façon plus fréquente la forme « entrepreneuriat ». « Objet », « recherche », « revue », « scientifique » apparaissent de façon caractéristique nous laissant penser qu’il s’agit d’une quête de légitimité. La dernière période est plus riche en textes (88 sur 208). « Business model », « écosystème », « capital social », « accompagnement » et « incubateur » y sont plus souvent abordés. L’adjectif « entrepreneurial » se retrouve durant cette troisième période avec des spécificités comme « social » ou « culturel ». Les termes « performance » et « repreneur » se retrouvent plus fréquemment. À l’inverse, nous pouvons noter le désintérêt concernant la forme « création d’entreprise ».

Les textes portant sur le « contexte » vont mettre en avant, dans un premier temps, les formes « système », « secteur », « marché », « district industriel » ou encore « milieu » pour décrire le contexte d’évolution de la PME ou de l’entrepreneur. Le « pays » ou la « région » sont les niveaux d’analyse les plus souvent mobilisés. « Petite entreprise », « PMI », « PME » sont les unités économiques appréhendées durant ces premières périodes. Au cours de la dernière période, le vocabulaire perd de sa spécificité bien que la forme « écosystème » y soit caractéristique. Si nous schématisons, l’écosystème entrepreneurial est à la création d’entreprise (en période 3) ce que le milieu innovateur était à la PME (en période 1). Les formes les plus courantes sont liées à d’autres catégories : « entrepreneurial », « accompagnement », « capital social », « dirigeant », « incubateur »… Au fil du temps, le contexte d’analyse de la PME cède sa place au contexte d’analyse des actions entrepreneuriales.

En termes d’évolution de ces trois catégories, la figure 7 indique la fréquence des articles par période. Nous pouvons constater une diminution des textes mentionnant la PME et ses formes liées. Toutefois, ce type d’article demeure dominant même lors de la période la plus récente. Les articles en lien avec l’entrepreneuriat connaissent une progression forte et dépassent les articles mentionnant le contexte. Entre la période 3 et la période 1, les articles « PME » ont diminué de 13 % (différence de − 21 articles), les articles « contexte » ont baissé de 17 % (différence de − 14 articles). Dans le même temps, les articles « entrepreneuriat » ont crû de 363 % (différence positive de 69 articles). Ces éléments sont importants, car la croissance des articles « entrepreneuriat » ne s’explique pas uniquement par un désintérêt des auteurs pour des articles « PME » et « contexte ». En effet, si le nombre d’articles « PME » et « contexte » ont diminué pour un total de 35 articles et qu’il y a eu 14 articles de plus publiés entre la période 3 et la période 1 (194 articles en P1, 208 articles en P3), nous obtenons, théoriquement, un total de 49 articles. Il reste donc au minimum 20 articles (soit 23 % des articles entrepreneuriat de P3) qui résultent d’une interconnexion soit avec PME, soit avec contexte.

Figure 7

Évolution dans le temps en fonction de la répartition PME/Entrepreneuriat/Contexte

Évolution dans le temps en fonction de la répartition PME/Entrepreneuriat/Contexte

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4.4.2. Quelle convergence pour les articles « PME » et « entrepreneuriat » ?

Nous avons comparé le vocabulaire mobilisé dans les articles en PME et en entrepreneuriat. Ces articles possèdent-ils un vocabulaire relativement partagé ou, au contraire, très spécialisé ? Nous nous sommes intéressés aux formes actives, à savoir le vocabulaire spécifique, les plus souvent mobilisées dans les articles. Nous constatons que pour les 100 formes les plus utilisées dans les articles en entrepreneuriat, 64 % sont présentes dans les 100 formes les plus utilisées dans les articles classés PME. Il est possible de quantifier de façon plus précise en mesurant la corrélation qui repose sur l’effectif de chaque forme pour les textes « PME » et les textes « entrepreneuriat ». Le coefficient de corrélation global, calculé sur la base des effectifs de toutes les formes différentes contenues dans les textes en entrepreneuriat (2 759 formes), est de 0,735. En d’autres termes, il existe majoritairement un vocabulaire commun. Néanmoins, si nous comparons séparément la corrélation pour les périodes 1 et 2 puis pour la période 3 (afin d’avoir un nombre de textes plus homogène en raison de la faible présence des textes entrepreneuriat en P1), nous constatons un coefficient de corrélation de 0,784 durant les périodes 1 et 2 contre un coefficient de 0,643 en période 3. La procédure du test Z de Fisher permettant de comparer les coefficients de corrélation indique que cette différence est significative à 0,001. Nous pouvons en conclure que si le vocabulaire est partagé entre les textes PME et entrepreneuriat, cette tendance est à la baisse. Toutefois, l’enseignement principal est que les textes des deux catégories utilisent un langage commun.

Nous allons, à présent, nous intéresser aux auteurs qui ont publié dans les catégories PME et entrepreneuriat. S’agit-il d’auteurs très spécialisés ou, au contraire, d’auteurs qui ont publié dans les deux catégories ? Sur l’ensemble des auteurs ayant publié au moins un article dans la catégorie PME ou dans la catégorie entrepreneuriat ou dans les deux (747 auteurs), 65,06 % des auteurs n’ont publié que dans la catégorie PME, 19,01 % uniquement dans la catégorie entrepreneuriat tandis que 15,93 % ont publié en PME et en entrepreneuriat. Nous avons ensuite comptabilisé le nombre d’articles publiés par chaque auteur dans la RIPME. Nous constatons (Annexe 3, uniquement les copublications) que les auteurs qui contribuent le plus et sont les plus centraux ont tendance à avoir publié en PME et en entrepreneuriat.

Pour les auteurs différents qui ont contribué aux articles de la RIPME sur la période 1988-2020 (785 auteurs), la grande majorité n’a publié qu’une seule fois (617 auteurs soit 78,7 %). Ce chiffre tend vers les observations d’Akpan (2021) en ce qui concerne Journal of Small Business Entrepreneurship (86,6 %). En fonction des mesures opérées respectivement pour les périodes 1, 2 et 3, nous pouvons constater que ce chiffre est relativement stable : 13,9 % ont publié deux articles, 3,95 % trois articles. Il y a donc 27 auteurs (3,44 %) qui ont publié au moins quatre articles. Au sein de ces 27 auteurs qui ont publié plusieurs fois, nous avons écarté 4 auteurs dont l’étendue entre leur premier et leur dernier article était inférieure à 10 ans. Nous souhaitons identifier les auteurs sur une période relativement longue afin d’éviter que les différents articles d’un même auteur proviennent d’une seule recherche générique (biaisant ainsi la diversité des thèmes). Ainsi, nous avons retenu 23 auteurs totalisant 126 mentions au sein de 115 articles publiés (soit 19,5 % de l’ensemble des articles publiés) avec au moins 10 ans d’écart entre le premier et dernier article (minimum : 11 ans ; maximum : 29 ans). La liste des auteurs concernés et leurs travaux sont présentés en annexe 4. Pour chaque auteur, nous avons scindé leurs publications en deux périodes (période A et période B) afin d’avoir un nombre équivalent d’articles pour un auteur donné entre ces deux périodes. Le but étant de comparer l’appartenance aux catégories « PME » et « entrepreneuriat » d’une période à l’autre. Lorsque nous rapportons cette catégorisation en fonction du nombre d’articles, nous obtenons un pourcentage indiquant où se situe l’auteur en période A et en période B. Cela nous permet d’établir une évolution par auteur : reste-t-il stable sur une catégorie ou évolue-t-il vers une autre catégorie, par exemple. La moyenne de l’évolution des 23 auteurs permet de constater une diminution de la catégorie PME (− 14,38 %) et une augmentation de celle concernant entrepreneuriat (10,5 %). Nous constatons que 11 auteurs ont diminué leur contribution dans la catégorie PME (9 restent stables, 3 augmentent). En parallèle, 10 auteurs ont augmenté leur contribution dans la catégorie entrepreneuriat (10 restent stables, 3 diminuent). Il ressort donc que les auteurs qui publient le plus au sein de la RIPME ont tendance à travailler à la fois en PME et en entrepreneuriat. Toutefois, la tendance est à un déplacement de la catégorie PME vers entrepreneuriat.

5. Discussion

Les résultats obtenus nous permettent de nous interroger sur la nature de la PME et de l’entrepreneuriat en tant que thème de recherche et de tenter de mettre en exergue ce qui les rapproche. Aborder la question de la PME revient à prendre en considération l’importance de son épithète : la taille. Comme Welsh et White (1981, p. 18) le mettaient en avant dans leur article éponyme, « a small business is not a little big business », la petite taille entraîne des conditions spécifiques notamment en ce qui concerne son rapport aux ressources, qui sont limitées. La gestion d’une PME apparaît alors comme une discipline spécifique qui se caractérise par des ressources financières réduites, un personnel peu formé et une perspective de gestion à court terme contraint par son environnement concurrentiel (Welsh et White, 1981). D’autres caractéristiques des PME ont été mises en avant afin de tendre vers un modèle d’entreprise (Julien, 1990) pouvant connaître une spécificité contingente (Torrès, 1997 ; Torrès et Julien, 2005). Cela a permis le développement d’une théorie du small business reposant sur une entreprise de petite taille, indépendante, avec des ressources limitées, une centralisation des décisions et des risques auprès du propriétaire-dirigeant (Julien, 1990 ; Volery et Mazzarol, 2015).

S’intéresser à l’entrepreneuriat entraîne une réflexion mêlant différents paradigmes. Verstraete et Fayolle (2005) évoquent les paradigmes liés aux opportunités d’affaires, à la création d’organisation, à la création de valeur ou à celui de l’innovation. L’entrepreneuriat en tant que domaine de recherche entraîne ainsi la prise en compte de l’entrepreneur, mais aussi des opportunités qui sont poursuivies, découvertes et recherchées (Shane, 2003 ; Shane et Venkataraman, 2000 ; Chabaud et Messeghem, 2010) dans un contexte, déconnecté des ressources possédées, qui peut prendre également place dans des entreprises existantes (Stevenson et Jarillo, 1990). Alvarez et Busenitz (2001) mettent en avant la capacité de l’entrepreneur à posséder des ressources rares alors que ses possibilités sont limitées, notamment par l’activation de son capital social. Cette perspective est reprise par Sarasvathy et Dew (2005) comme un principe moteur de la théorie de l’effectuation : l’engagement des parties prenantes permettant l’apport de nouvelles ressources.

Les thèmes « PME » et « entrepreneuriat » se retrouvent avec de réels points communs. Nos résultats indiquent des convergences : présence d’un vocabulaire commun, des chercheurs sont présents dans les deux catégories, les interconnexions sont plus fortes. Meyer, Neck et Meeks (2002) remarquent, par exemple, que les chercheurs en entrepreneuriat étudient principalement les entreprises de petite dimension (ce qui les différencie des chercheurs en stratégie orientés vers les grandes entreprises). Bruyat et Julien (2001) considèrent que l’importance de l’individu (le dirigeant qui peut être le propriétaire), la création d’une nouvelle valeur, la petite taille sont des caractéristiques partagées. Bien que le recours au critère taille ne soit pas systématique (Stevenson et Jarillo, 1990), nous pouvons supposer que la petite dimension est un critère en commun (Bruyat et Julien, 2001 ; Audretsch, 2019), par exemple, une équipe dédiée au sein d’une entreprise existante. En conséquence, différents travaux les envisagent de manière commune (Wang, Jessup et Clay, 2013 ; Mullen, Budeva et Doney, 2009 ; Xheneti et Blackburn, 2011 ; Kuratko, 2006 ; Landström, 2005) ou tout du moins sur un pied d’égalité (Marchesnay, 2008 ; Boissin, Castagnos et Guieu, 2000 ; Messeghem et Torrès, 2015). Les enseignements dispensés dans le cadre de cours en PME ou en entrepreneuriat ont également des éléments communs (Gibb, 1996). À la suite de Gartner (1985) et de Venkataraman (1997), Busenitz et al. (2014) mettent en avant quatre grands domaines conceptuels permettant de synthétiser les travaux en entrepreneuriat et PME : l’opportunité, l’individu ou l’équipe d’individus, le mode d’organisation permettant l’acquisition et le déploiement de ressources et l’environnement. Bruyat et Julien (2001) partagent cette vue et insistent sur les interactions entre ces dimensions.

En fonction de nos résultats, nous pouvons nous inspirer de ces grands domaines pour proposer un espace de convergence (par rapport au phénomène étudié ; Grégoire et al., 2006) pouvant accueillir les recherches en PME et en entrepreneuriat :

  • une figure individualisée (le dirigeant ou l’entrepreneur ou un nombre réduit d’entre eux, à savoir une équipe), autonome dans ses décisions ;

  • va explorer une opportunité ou exploiter une activité ;

  • dans un contexte où les ressources sont limitées ;

  • avec une contingence liée à la petite taille ;

  • en recourant à un espace proche afin d’acquérir ces ressources.

La réciprocité entre ces éléments est importante. Par exemple, le développement des opportunités/activités va modifier les ressources disponibles, la dimension de l’entreprise, les compétences de l’individu… Ainsi, afin d’appréhender de manière unifiée les champs PME et entrepreneuriat, nous proposons la mise en évidence de ces cinq dimensions qui, à notre sens, peuvent se retrouver tant dans les travaux consacrés aux PME que ceux dédiés à l’entrepreneuriat : l’individu, les ressources, la taille, l’espace, l’opportunité. Ces dimensions semblent fournir un socle relativement homogène permettant d’accueillir les travaux orientés « PME » et « entrepreneuriat » (Figure 8).

Figure 8

Dimensions de convergence PME et entrepreneuriat

Dimensions de convergence PME et entrepreneuriat

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Conclusion

Notre recherche permet de quantifier la dynamique des travaux académiques publiés au sein de la RIPME en se focalisant sur les thèmes « PME » et « entrepreneuriat ». Si la thématique de l’entrepreneuriat prend une place grandissante, les travaux consacrés à la PME demeurent majoritaires. Ces résultats valident, dans un contexte francophone, les observations de Landström (2020) ou Volery et Mazzarol (2015) menées dans d’autres revues anglophones. Pour autant, les travaux sur la PME demeurent majoritaires au sein de la RIPME et nous constatons une relative juxtaposition des travaux PME et entrepreneuriat laissant penser que la PME est un terrain fécond pour l’étude des dynamiques entrepreneuriales (Sahut et Peris-Ortiz, 2014). Les textes « PME » et les textes « entrepreneuriat » affichent un vocabulaire commun. Une part remarquable des auteurs travaillait sur la PME puis s’est intéressée à l’entrepreneuriat. Nous pouvons également imaginer que les plus jeunes chercheurs, qui se sont spécialisés en entrepreneuriat, ont réalisé leur thèse sous la direction de chercheurs en lien avec la PME. Il existe un réel espace de convergence (Xheneti et Blackburn, 2011). Nous pouvons toutefois nous demander si les recherches en entrepreneuriat se détacheront de plus en plus des recherches en PME ? Il nous semble possible de faire le parallèle avec les recherches en gestion qui se sont détachées des sciences économiques afin de devenir autonomes. Il s’agit ici de la thèse défendue par Hambrick et Chen (2008) en ce qui concerne la légitimation d’une discipline. Nous pensons que le dialogue entre PME et entrepreneuriat est possible et que des vecteurs de diffusion de la connaissance scientifique, comme la RIPME, contribuent au développement de la communauté en donnant place à ces différents thèmes et en favorisant leur interaction (Audretsch, Guenther et Lederer, 2022).

Notre recherche comporte des limites. Nous nous sommes focalisés sur une seule revue. L’identification de la communauté de recherche francophone devrait également intégrer d’autres revues spécialisées ainsi que des textes publiés dans des revues plus généralistes (gestion, management, administration). Toutefois, en analysant les textes de la RIPME, nous avons pu appréhender la dynamique de la communauté en minimisant les biais. Une autre limite repose sur la non-prise en compte de l’évolution d’autres disciplines historiquement connexes comme la stratégie. Les thèmes de recherche y ont évolué et leur impact peut se retrouver au sein des travaux de la communauté de la RIPME. La prise en compte de la spécificité francophone est également insuffisante, mais nos résultats indiquent une similitude avec les tendances observables dans les revues anglophones. Le découpage temporel que nous avons retenu mélange plusieurs périodes marquées par différents rédacteurs en chef et donc des politiques éditoriales différentes.

Des investigations futures pourront intégrer une analyse plus fine des méthodologies déployées au sein de la RIPME. En effet, les questions de méthode et leur rigueur apparaissent comme un élément essentiel dans la légitimation de la discipline (Maula et Stam, 2019). Cependant, nous avons préféré creuser plus en détail les aspects lexicaux afin de comprendre comment a évolué le discours au sein de la revue. Un prolongement logique de notre travail pourrait s’opérer sur les actes du CIFEPME. Une autre possibilité serait de s’intéresser aux actes des rencontres de St-Gall (Suisse). Ces rencontres scientifiques autour de la PME ont débuté en 1948. L’amplitude temporelle permettrait un éclairage pertinent sur l’évolution des thèmes PME et entrepreneuriat.