Corps de l’article

INTRODUCTION

Un nombre toujours croissant d’individus se retrouve sur les réseaux sociaux (Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations [CEFRIO], 2018). L’accès aux appareils portables et à Internet augmente les occasions de partage de l’information par l’entremise de ces plateformes. Au-delà des nouvelles possibilités, cette présence en ligne accrue de la population augmente les risques que différents abus se produisent (Jenaro et al., 2018; Park et al., 2014). Plusieurs études constatent notamment que l’intimidation dirigée envers les élèves ne se cantonne plus aux murs de l’école (Hamm et al., 2015; Holfeld et Leadbeater, 2015; Whittaker et Kowalski, 2015). Les recherches portant sur le cyberharcèlement subi par le personnel enseignant, quant à elles, sont rares. Néanmoins, dans un contexte où les élèves et leurs parents utilisent activement les réseaux sociaux, tout porte à croire que la situation n’est pas différente dans la population enseignante. Cet article expose ainsi les résultats d’une étude visant à analyser le portrait du cyberharcèlement subi par le personnel enseignant au Québec selon le genre des victimes et leurs habiletés technologiques sur les réseaux sociaux.

Pour ce faire, l’état actuel des connaissances sur le cyberharcèlement sera d’abord exposé. Cette première section établira notamment la prévalence du phénomène selon les dernières études sur le sujet. Une deuxième partie permettra de définir le cyberharcèlement et de préciser les différentes formes qu’il peut prendre. Une troisième section décrira l’outil de collecte de données et les participants de l’étude. Les résultats obtenus, présentés dans une quatrième partie, serviront à étayer la discussion sur la prévalence du phénomène ainsi que sur l’effet du genre des victimes et de leurs habiletés technologiques sur les réseaux sociaux. Une discussion fera l’objet d’une cinquième et dernière section.

PROBLÉMATIQUE

Harcèlement dans le milieu de l’éducation

Le phénomène de la violence en milieu scolaire a reçu beaucoup d’attention dans les dernières années. Plusieurs études se sont intéressées à ce phénomène chez les élèves (Beaumont et al., 2014; Hicks et al., 2018; Holfeld et Leadbeater, 2015; Hutson, 2016; Smith, 2016) et chez le personnel enseignant (Mcmahon et al., 2014; Moon et al., 2015; Wilson et al., 2011). Des enquêtes menées au Québec relèvent que l’enseignement se situe parmi les trois métiers les plus touchés par la violence en milieu de travail (Pelletier et al., 2018; Vézina et al., 2011). L’environnement scolaire place les enseignantes et les enseignants à la merci d’attaques issues de différents acteurs du milieu scolaire (Mcmahon et al., 2014; Pelletier et al., 2018). À cet égard, Mcmahon et al. (2014) constatent que le harcèlement touche les trois quarts des enseignantes et enseignants, et qu’il est perpétré par les collègues, les élèves et leurs parents.

Le harcèlement représente la forme de violence la plus commune en milieu de travail au Québec (Pelletier et al., 2018; Vézina et al., 2011). Ces attaques généralement verbales (moqueries, propos intimidants, menaces) et répétitives ne sont pas sans conséquences. D’ailleurs, Wilson et al. (2011) établissent qu’elles sont davantage associées à des effets négatifs sur les plans émotionnel et professionnel que les attaques physiques. Les conséquences émotionnelles sont nombreuses, incluant notamment la peur et le stress (Moon et al., 2015; Wilson et al., 2011). Elles affectent la qualité du travail des enseignantes et enseignants et, par conséquent, la réussite des élèves (Reddy et al., 2013). Si la prévalence et les conséquences du harcèlement dans l’enseignement ne font pas de doute, peu d’études se sont intéressées au phénomène en dehors des murs de la classe envers le personnel enseignant. Pourtant, selon certaines recherches, le phénomène prendrait de l’ampleur sous l’impulsion des réseaux sociaux.

Cyberharcèlement : prévalence et genre des victimes

Au Canada, la proportion d’individus harcelés en ligne est évaluée à 7,0 % (Statistique Canada, 2017). Dans une recension des écrits scientifiques, Jenaro et al. (2018) situent la prévalence du cyberharcèlement entre 2,8 % et 10,7 %. En milieu de travail, Forssell (2016) obtient des résultats qui se retrouvent dans cette fourchette, avec une proportion de 9,7 %. Dans une étude en milieu universitaire, Cassidy et al. (2014) constatent que le cyberharcèlement touche 17,0 % des professeures et professeurs, et que les attaques proviennent autant des élèves que des collègues. Ces actes se produisent davantage dans les facultés traditionnellement féminines. Les chercheuses et chercheurs s’entendent généralement sur le fait que les femmes sont davantage à risque de subir du cyberharcèlement que les hommes (Aboujaoude et al., 2015; Burke Winkelman et al., 2015; Cassidy et al., 2014). Les inégalités, les préjugés et les stéréotypes ancrés dans la société se traduisent souvent en ligne. Ces résultats laissent présager une situation semblable et exacerbée aux niveaux primaire et secondaire, soit un milieu traditionnellement féminin, où le personnel enseignant est en relation avec des collègues, des élèves et leurs parents.

Les recherches sur le cyberharcèlement auprès du personnel enseignant du primaire et du secondaire se font rares. Néanmoins, un sondage réalisé en 2011 par la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) situait la prévalence du phénomène à 5,0 %. La CSQ identifiait ainsi le courriel comme principal moyen utilisé par les personnes qui agressent. Plusieurs années plus tard, avec l’utilisation toujours grandissante des réseaux sociaux, il est possible de croire que la situation prend de l’ampleur. Comme le soulignent Jenaro et al. (2018), une présence accrue en ligne augmente les risques d’un mésusage.

Habiletés technologiques dans les réseaux sociaux et cyberharcèlement

Aux niveaux primaire et secondaire, le personnel enseignant utilise les réseaux sociaux pour des raisons personnelles, mais également pour des besoins de développement professionnel (Carpenter, 2015; Greenhow et al., 2018). Les élèves, quant à eux, se retrouvent de plus en plus jeunes sur les réseaux sociaux (Office of communications, 2016; Poll, 2015; Schmutz, 2015). Chez les adultes, ce sont 86,0 % des Québécois qui les utilisent selon le CEFRIO (2018), soit une augmentation de 16,0 % en l’espace de deux années seulement. Cette forte utilisation place le personnel enseignant dans une situation où il risque de subir du cyberharcèlement par l’entremise des réseaux sociaux.

Le cyberharcèlement par l’entremise des réseaux sociaux détient certaines caractéristiques qui le distinguent du harcèlement en personne. D’une part, ces plateformes accentuent le caractère répétitif d’une attaque, car elle peut être vue, partagée ou aimée par plusieurs personnes (Slonje et al., 2013). D’autre part, la création de fausses identités rend difficile l’identification des personnes qui agressent, ce qui augmente le sentiment d’impuissance de la victime (Foody et al., 2015). Finalement, en l’absence de réponse instantanée ou de signes non verbaux, le sentiment d’inhibition de certains individus est réduit, ce qui les pousse à commettre en ligne des actes qu’ils ne feraient pas en personne (Melander, 2010). Ces caractéristiques augmentent ainsi les risques et les conséquences du phénomène. Comme le personnel enseignant, les élèves et leurs parents sont sur les réseaux sociaux et que ces plateformes accentuent les risques et les conséquences associés au cyberharcèlement, les enseignantes et enseignants sont appelés à développer des habiletés technologiques pour se prémunir contre le phénomène.

Des recherches proposent d’intégrer la sensibilisation au cyberharcèlement dans la formation du personnel enseignant depuis plusieurs années (Myers et al., 2011; Shariff, 2008). Cette sensibilisation implique notamment le développement d’habiletés technologiques pour faire un usage sécuritaire des réseaux sociaux (ex. : sécurisation des comptes). Peu de recherches évaluent les habiletés technologiques du personnel enseignant quant à son usage des réseaux sociaux. Cependant, des études s’intéressant à la compétence numérique du personnel enseignant montrent que la maîtrise des outils technologiques de façon générale est limitée (Stockless et Beaupré, 2014; Stockless, Villeneuve et Beaupré, 2018; Stockless, Villeneuve et Gingras, 2018). Il apparaît donc opportun d’approfondir la relation entre les habiletés technologiques et le harcèlement en ligne, particulièrement par l’entremise des réseaux sociaux.

Par conséquent, la présente recherche vise les trois objectifs suivants :

  1. Déterminer la prévalence du cyberharcèlement chez le personnel enseignant du primaire et du secondaire;

  2. Analyser la relation entre le cyberharcèlement et le genre des victimes;

  3. Analyser la relation entre le cyberharcèlement et les habiletés technologiques du personnel enseignant sur les réseaux sociaux.

CADRE CONCEPTUEL

Définition du cyberharcèlement

Le concept de cyberharcèlement se distingue de la cyberintimidation dans la mesure où il est dirigé vers un adulte. Étant un phénomène relativement nouveau, la définition du cyberharcèlement ne fait pas consensus (Foody et al., 2015). Certaines caractéristiques communes émergent tout de même de la majorité des définitions, comme le rapporte la recension des écrits produite par Hutson (2016). Un acte de cyberharcèlement est généralement : 1) commis en ligne; 2) répétitif; 3) agressif; 4) volontaire et 5) dommageable pour la victime. Certaines études considèrent que la répétitivité de l’action n’est pas essentielle à la définition. En effet, une photo ou un commentaire intimidants qui sont publiés en ligne peuvent être vus et partagés à maintes reprises, ce qui permet de les considérer comme répétitifs et de les classer automatiquement dans la catégorie du cyberharcèlement (Slonje et al., 2013).

De plus, un commentaire qui n’est pas nécessairement agressif peut tout de même constituer du cyberharcèlement. Par exemple, les messages ou photos inappropriés à caractère sexuel sont considérés comme une forme de harcèlement en ligne (Antunovic, 2018; Burke Winkelman et al., 2015; Everbach, 2018). Finalement, le caractère volontairement agressif ou indésirable d’une action posée en ligne est parfois difficile à évaluer. Par conséquent, dans le cadre de cette recherche, le cyberharcèlement sera défini comme tout acte agressif ou inapproprié commis en ligne et étant indésirable ou dommageable par la personne adulte qui en est le destinataire. De cette définition émane une diversité de formes que peut prendre le phénomène.

Types de cyberharcèlement

L’échelle de mesure de Çetin et al. (2011) est l’une des rares à avoir catégorisé les différents types de cyberharcèlement. Bien que la validation ait été effectuée auprès d’une population d’élèves, elle permet tout de même de regrouper certains types de cyberharcèlement. Premièrement, il est possible de regrouper le harcèlement en ligne lorsqu’il est de nature verbale. Cette catégorie inclut la diffusion de rumeurs et l’utilisation d’un langage offensant ou ridiculisant. Deuxièmement, toute action visant à accéder aux informations personnelles d’autrui, à les utiliser ou à les diffuser représente aussi une forme de cyberharcèlement. Le piratage, l’usurpation d’identité ou la diffusion de renseignements personnels sur les réseaux sociaux sont les plus communs. Enfin, le cyberharcèlement peut également impliquer l’utilisation de matériel multimédia. Cette troisième catégorie consiste à recevoir un fichier audio, photo ou vidéo considéré comme inapproprié.

Dans une population adulte, certaines attaques particulières peuvent survenir. Plusieurs études soulèvent que les agressions à caractère sexuel ne sont pas rares (Antunovic, 2018; Burke Winkelman et al., 2015; Everbach, 2018). De plus, la diffamation représente une forme de harcèlement pouvant être vécue par le personnel enseignant (Centrale des syndicats du Québec-CROP, 2011). Elle dépasse la diffusion de fausses rumeurs visant à nuire à la réputation d’une personne. Finalement, des propos tenus en ligne peuvent être considérés comme menaçants pour les biens, la famille ou la vie de la personne harcelée (Dilmac, 2009; Jenaro et al., 2018). Compte tenu de la gravité de ces propos tenus en ligne, il convient de les placer dans une catégorie qui leur est propre.

MÉTHODOLOGIE

Outil de collecte des données

Un questionnaire en ligne a permis de récolter les données sur le cyberharcèlement auprès de la population enseignante québécoise. Il comporte cinq sections. La première visait à obtenir le consentement des participantes et participants. Une deuxième partie a permis de recueillir des données sociodémographiques. La fréquence des différents types de cyberharcèlement est mesurée dans une troisième partie à l’aide de la catégorisation établie par Çetin et al. (2011). Comme cette catégorisation s’adressait à une population de jeunes, elle a été adaptée et traduite pour la présente recherche. L’échelle traduite et adaptée est constituée de 27 éléments répartis dans 4 sous-échelles : cyberharcèlement verbal, cyberharcèlement perpétré à l’aide d’une composante multimédia, cyberharcèlement lié à l’identité et cyberharcèlement au moyen de menaces en ligne.

Comme l’échelle a été traduite et adaptée, sa fiabilité a été évaluée à l’aide du coefficient oméga de McDonald (ω). Ce coefficient est préféré à l’alpha de Cronbach dans les écrits récents, mais s’interprète de la même façon (voir Béland et al., 2017). Ainsi, des coefficients de 0,70, 0,80 et 0,90 sont respectivement considérés comme acceptable, bon et excellent (Crutzen et Peters, 2017). Selon ces balises, la fiabilité de l’échelle utilisée dans la présente recherche est considérée comme excellente (ω = 0,94). Il en était de même pour l’échelle d’origine (α = 0,89). La fiabilité de la sous-échelle du cyberharcèlement verbal est excellente (ω = 0,90); elle l’était également dans l’échelle d’origine (α = 0,89). Elle comprend, entre autres, des types de cyberharcèlement verbal comme la diffusion de rumeurs, des actions pour ridiculiser et l’utilisation de surnoms. La deuxième sous-échelle regroupe des éléments sur le cyberharcèlement commis à l’aide de matériel multimédia : diffusion et montage de fichiers audio, vidéo ou photo (ω = 0,89). Le coefficient de cohérence interne était de 0,86 dans la version d’origine. La troisième sous-échelle se compose de différentes actions visant à accéder, à utiliser ou à diffuser les informations personnelles d’autrui, comme le piratage, l’usurpation d’identité et la diffusion de renseignements personnels (ω = 0,77). La fiabilité de cette sous-échelle était acceptable dans les travaux de Çetin et al. (2011) (α = 0,68). La dernière sous-échelle, absente à l’origine, regroupe les menaces proférées en ligne (CM) (ω = 0,84) : menaces aux biens, menaces physiques et menaces de mort. Tous les éléments de ces sous-échelles ont utilisé une échelle de Likert à 5 niveaux où 1 = Toujours (à répétition), 2 = Souvent (4 à 5 fois), 3 = Occasionnellement (2 à 3 fois), 4 = Rarement (1 fois) et 5 = Jamais (aucune fois).

Une quatrième section permet d’établir la prévalence du cyberharcèlement et d’en apprendre davantage sur les événements vécus. En effet, après l’échelle sur les types de cyberharcèlement, les personnes participantes pouvaient répondre à la question suivante : « À la lumière des réponses données à la question précédente, avez-vous subi du cyberharcèlement? » Les enseignantes et enseignants qui y répondaient par l’affirmative étaient alors amenés à répondre à une série d’items sur les caractéristiques des épisodes de cyberharcèlement vécus : identité de la personne qui a agressé, nombre de personnes qui ont agressé et moyens utilisés.

Une dernière section du questionnaire s’adresse à l’ensemble des personnes répondantes et s’intéresse aux habitudes sur les réseaux sociaux (nombre de contacts, informations présentées, nombre d’heures d’utilisation, etc.). De plus, cette section interrogeait les personnes répondantes quant à leurs habiletés technologiques sur les réseaux sociaux. Elles devaient préciser si elles savaient sécuriser leur compte sur les réseaux sociaux (oui ou non), ce qui constitue une habileté technologique, puisque c’est l’une des fonctions permettant de se servir adéquatement des réseaux sociaux. L’ajout de personnes inconnues sur ces plateformes (1 = toujours à 5 = jamais) a aussi été demandé.

Traitement des données

Afin d’atteindre le premier objectif et de déterminer la prévalence du cyberharcèlement, des calculs de fréquences, de moyennes et d’écarts-types ont été effectués. Dans le but de répondre au deuxième objectif, un test du khi-carré (χ2) a été effectué pour déterminer la relation entre le genre et le fait d’avoir vécu ou non du cyberharcèlement. Ce test a été utilisé puisque les variables sont nominales. Pour atteindre le second objectif, la fréquence des différents types de cyberharcèlement a également été calculée en fonction du genre. Dans le cas des types de cyberharcèlement, la distribution des données est très asymétrique. Par conséquent, cette variable a été dichotomisée afin de déterminer l’existence ou non d’une relation entre le genre et les types de cyberharcèlement. Pour ce faire, des tests du khi-carré ont été effectués. La force de la relation a été mesurée à l’aide du V de Cramer. Cohen (1988) établit des balises pour juger de la force de la relation. Des coefficients de 0,10, 0,30 et 0,50 permettent de qualifier la relation respectivement de faible, moyenne et forte. Cohen convient lui-même que ces interprétations doivent être effectuées avec prudence. C’est pourquoi les résultats obtenus ont également été comparés avec d’autres recherches utilisant des méthodologies semblables.

Le troisième objectif de la recherche visait à vérifier l’existence d’une relation entre les habiletés technologiques (variable indépendante) et le cyberharcèlement (variable dépendante). Dans le cas de la sécurisation des comptes sur les réseaux sociaux, la variable est nominale; par conséquent, le choix d’un test du khi-carré s’imposait. Dans le cas de l’ajout de personnes inconnues, comme la distribution était très asymétrique, l’échelle a été dichotomisée, puis un test du khi-carré a été réalisé.

Procédure de collecte, et participantes et participants

Après l’obtention du certificat d’approbation éthique, une collaboration avec deux regroupements syndicaux a été établie. Les syndicats ont diffusé le lien vers l’enquête, lien qui a aussi été diffusé par les réseaux sociaux dans les groupes d’enseignantes et d’enseignants. Un questionnaire en ligne produit sur la plateforme SurveyMonkey a été envoyé à l’ensemble du personnel enseignant du Québec entre 2015 et 2017. Ce sont 753 individus qui ont participé à l’étude. Parmi eux, 81,8 % sont des femmes et 18,2 % sont des hommes. L’âge moyen des personnes participantes est de 41,11 ans. Les personnes interrogées évoluent au préscolaire et au primaire (52,2 %), au secondaire (36,0 %), à la formation professionnelle (5,4 %) et à l’éducation aux adultes (6,4 %). La majorité des personnes répondantes ont un poste régulier (80,3 %) et les autres travaillent à temps partiel (19,7 %).

RÉSULTATS

Cyberharcèlement chez le personnel enseignant : état de la situation

Parmi les 753 personnes interrogées, 20,30 % ont subi du cyberharcèlement entre 2015 ou 2017 (n = 153). Ces enseignantes et enseignants ont vécu du harcèlement en ligne lors de l’année scolaire 2015-2016 (n = 79), lors de l’année scolaire 2016-2017 (n = 36) et lors des deux années (n = 38). En répartissant les personnes répondantes harcelées lors des deux années, il est possible d’établir la moyenne annuelle à 12,7 %. Chez les hommes, 8,1 % ont subi du cyberharcèlement sur une base annuelle entre 2015 et 2017. Ce chiffre s’élève à 13,8 % chez les femmes. Un test du khi-carré a été effectué afin de déterminer l’existence d’un lien entre le genre des victimes et le fait d’avoir subi du cyberharcèlement entre 2015 et 2017. Le résultat du test permet de rejeter l’hypothèse nulle. En effet, la relation entre le genre et le fait de subir du cyberharcèlement est statistiquement significative, X2 (1, N = 753) = 6,31, p = 0,01, V = 0,09. Selon le V de Cramer obtenu, la force de la relation est faible.

Fréquence des différents types de cyberharcèlement

Les personnes interrogées ont précisé à quelle fréquence un certain type de cyberharcèlement était survenu entre 2015 et 2017. Les différentes formes de harcèlement en ligne ont été catégorisées grâce à une adaptation des travaux de Çetin et al. (2011). Il est à noter que tous les participants à la recherche (N = 753) pouvaient répondre à cette question. Par souci de synthèse, les personnes répondantes ayant choisi l’option « souvent » et « toujours » ont été regroupées dans les tableaux 1, 2, 3 et 4.

Tableau 1

Fréquence du cyberharcèlement verbal (%)

Fréquence du cyberharcèlement verbal (%)

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Le cyberharcèlement verbal est la catégorie de harcèlement en ligne la plus importante. La diffusion de rumeurs, les actions pour ridiculiser et l’utilisation de surnoms sont les types les plus fréquents pour cette catégorie autant chez les femmes que chez les hommes. Le Tableau 1 montre que la diffusion de rumeurs en ligne dépasse la proportion d’enseignantes et d’enseignants ayant vécu du cyberharcèlement. Ce type de harcèlement touche plus du quart des enseignants interrogés et plus d’une enseignante sur cinq. Chez les femmes et les hommes, la diffusion de rumeurs, les actions pour ridiculiser, et l’utilisation de symboles et de surnoms sont les types de cyberharcèlement les plus fréquents pour la catégorie de cyberharcèlement verbal.

Tableau 2

Fréquence du cyberharcèlement perpétré à l’aide d’une composante multimédia (%)

Fréquence du cyberharcèlement perpétré à l’aide d’une composante multimédia (%)

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Comme le montre le Tableau 2, le partage de photos est la forme de harcèlement perpétré à l’aide d’une composante multimédia la plus fréquente. Ce type de cyberharcèlement est survenu de « rarement à toujours » chez un peu plus de femmes (15,7 %) que d’hommes (14,8 %).

Tableau 3

Fréquence du cyberharcèlement lié à l’identité (%)

Fréquence du cyberharcèlement lié à l’identité (%)

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Le Tableau 3 montre que l’intrusion sur les comptes, l’envoi de fichiers infectés et l’utilisation de l’identité sont les trois types de cyberharcèlement lié à l’identité les plus fréquents. Pour cette catégorie, l’utilisation de l’identité de la victime est le type le plus commun chez les hommes (9,9 %), tandis que l’intrusion sur des comptes est la forme la plus fréquente chez les femmes (8,8 %).

Tableau 4

Fréquence des menaces reçues en ligne (%)

Fréquence des menaces reçues en ligne (%)

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Les menaces reçues en ligne représentent la catégorie de cyberharcèlement la moins fréquente comme l’expose le Tableau 4. Les menaces contre les biens sont survenues dans 5,3 % des cas et sont plus présentes chez les hommes (7,0 %) que chez les femmes (4,9 %).

Identité des personnes qui agressent

Parmi les personnes ayant vécu du cyberharcèlement, 73,1 % connaissent l’identité de la personne qui les ont agressées et 26,9 % ne sont pas en mesure d’identifier l’autrice ou l’auteur des attaques. Dans la majorité des cas, le cyberharcèlement provient d’une seule personne (46,3 %). Sinon, elle provient de plusieurs personnes de façon individuelle (18,8 %) ou concertée (14,1 %). Les autres personnes répondantes (20,8 %) n’ont pas été en mesure de quantifier le nombre de personnes qui les harcèlent en ligne. Les personnes participantes ont précisé que les autrices ou auteurs de cyberharcèlement sont, dans l’ordre, des parents (40,9 %), des élèves (36,2 %), des collègues (19,5 %) et des membres du personnel de direction (9,4 %). Les personnes répondantes pouvaient sélectionner plusieurs réponses à cette question.

Moyens utilisés pour commettre du cyberharcèlement

Selon les résultats obtenus chez les personnes victimes de cyberharcèlement, Facebook représente le moyen privilégié par les personnes qui agressent. Parmi les personnes ayant subi du cyberharcèlement, le mur Facebook a été utilisé fréquemment (de « souvent » à « toujours ») dans 7,1 % des cas.

Tableau 5

Fréquence à laquelle une plateforme en ligne a été utilisée pour commettre du harcèlement (%)

Fréquence à laquelle une plateforme en ligne a été utilisée pour commettre du harcèlement (%)

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Lorsque les attaques sont effectuées par courriel, l’autrice ou l’auteur du message est généralement identifié. Dans 10,60 % des cas, la personne qui agresse utilise un pseudonyme. Des sites Web et d’autres réseaux sociaux tels que YouTube et Twitter sont également utilisés pour commettre des actes de cyberharcèlement.

Relation entre le cyberharcèlement et les habiletés technologiques

Parmi l’ensemble des personnes interrogées, 88,0 % sont abonnées à au moins un réseau social et 87,3 % sont abonnées à Facebook. Chez celles et ceux qui ne sont pas présents sur ces plateformes, la prévalence du cyberharcèlement est de 12,4 %. Les personnes répondantes qui utilisent les réseaux sociaux ont subi du cyberharcèlement dans une proportion de 20,8 %. Parmi elles, 89,4 % sont en mesure de sécuriser leurs informations sur les réseaux sociaux. Un test du khi-carré a été effectué afin de déterminer l’existence d’un lien entre la capacité de sécuriser ses comptes et le fait d’avoir subi du cyberharcèlement. Le résultat du test ne permet pas de rejeter l’hypothèse nulle. En effet, la relation entre la capacité de sécuriser ses comptes et le fait de subir du cyberharcèlement n’est pas statistiquement significative, X2 (1, N = 651) = 0,01, p = 0,92, V = 0,004. Selon le V de Cramer obtenu, la force de la relation est très faible.

Parmi l’ensemble des personnes interrogées, certaines ont ajouté des personnes inconnues à leurs réseaux sociaux rarement (12,6 %), parfois (2,9 %), toujours (0,1 %) et souvent (0,1 %). Ce sont donc 15,8 % des personnes répondantes qui ont adopté ce comportement à au moins une occasion. Un test du khi-carré a été effectué afin de déterminer l’existence d’un lien entre l’ajout de personne inconnue et le fait d’avoir subi du cyberharcèlement entre 2015 et 2017. Le résultat du test permet de rejeter l’hypothèse nulle. En effet, la relation entre l’ajout de personnes inconnues et le fait de subir du cyberharcèlement est statistiquement significative, X2 (1, N = 685) = 7,07, p = 0,01, V = 0,10. Selon le V de Cramer obtenu, la force de la relation est faible.

DISCUSSION

Un phénomène bien présent

Le cyberharcèlement touche 12,7 % du personnel enseignant au Québec sur une base annuelle. Ces chiffres dépassent ceux obtenus dans la population en général (Statistique Canada, 2017) et dans le milieu du travail (Jenaro et al., 2018). Ils peuvent s’expliquer par les nombreuses interactions qu’implique le métier d’enseignant. Parmi les victimes, autant les élèves (36,2 %), les parents (40,9 %), les collègues (19,5 %) que les membres de la direction (9,4 %) ont été identifiés comme des personnes commettant les agressions. Cet aspect distingue le harcèlement aux niveaux primaire et secondaire de celui qui se produit au niveau universitaire, où les parents ne sont pas identifiés comme des agresseurs (Cassidy et al., 2014). Comme chez le corps professoral, les femmes ont davantage subi de cyberharcèlement que les hommes. Cependant, la relation entre le genre et la victimisation s’avère plutôt faible, comme c’est souvent le cas dans les études (Forssell, 2016; Francisco et al., 2015).

La présente recherche permettait aux personnes répondantes de prendre la mesure des différentes formes que pouvait prendre le cyberharcèlement. La diffusion de rumeurs, les actions pour ridiculiser, l’utilisation de surnoms en ligne sont les types les plus communs. Le cyberharcèlement se distingue du harcèlement traditionnel, car il peut permettre l’utilisation de fichiers multimédias. Le partage de photos, notamment, est survenu dans plusieurs cas. D’autres types de harcèlement en ligne se sont produits dans une plus faible proportion, mais par la gravité des actes commis, ils méritent d’être soulignés. En effet, l’intrusion sur des comptes en ligne et la profération de menaces sont survenues dans plus de 5,0 % des cas. La diversité et la prévalence du harcèlement en ligne peuvent s’expliquer, en partie, par l’omniprésence du personnel enseignant, des élèves et de leurs parents sur les réseaux sociaux.

Utilisation sécuritaire des réseaux sociaux

Les résultats obtenus laissent croire que le phénomène du cyberharcèlement chez le personnel enseignant du primaire et du secondaire prend de l’ampleur. Les chiffres dépassent largement ceux obtenus dans une enquête précédente au Québec (Centrale des syndicats du Québec-CROP, 2011). La présence accrue sur les réseaux sociaux pourrait expliquer l’accentuation du phénomène. D’ailleurs, parmi les personnes interrogées, celles qui utilisent les réseaux sociaux (20,8 %) sont plus nombreuses à avoir subi du harcèlement en ligne que celles qui ne sont pas abonnées à ces plateformes (12,4 %). Plus particulièrement, la vaste majorité des personnes interrogées se retrouvent sur Facebook. Ce réseau social représente d’ailleurs le principal moyen utilisé pour commettre du cyberharcèlement, dépassant le courriel qui était, auparavant, l’outil privilégié par les personnes qui agressent (Centrale des syndicats du Québec-CROP, 2011).

Cette situation peut s’expliquer par la facilité et la rapidité d’accès de cette plateforme qui offre différents moyens de harcèlement : mur, message privé et groupe privé. D’autre part, le temps passé en ligne accentue les risques d’un mésusage (Jenaro et al., 2018). Dans le cadre de cette étude, l’ajout de personnes inconnues sur les réseaux sociaux a été identifié comme un facteur de risque associé au cyberharcèlement. Néanmoins, l’usage sécuritaire des réseaux sociaux ne semble pas suffire à prévenir le phénomène. La majorité des personnes participantes à l’étude ont affirmé utiliser les réseaux sociaux de façon sécuritaire et plusieurs d’entre elles ont tout de même vécu du cyberharcèlement. Il est donc possible de croire que le simple fait d’être présent sur ces plateformes en ligne constitue un risque, comme le relèvent des recherches chez les adolescentes et les adolescents, et les adultes (Jenaro et al., 2018; Melander, 2010; Park et al., 2014). Les environnements en ligne, par leur nature même, détiennent certaines caractéristiques (p. ex. : anonymat) qui augmentent les risques de subir du harcèlement (Foody et al., 2015; Melander, 2010; Slonje et al., 2013).

CONCLUSION

Cette recherche permet de constater que le cyberharcèlement est bien présent dans le domaine de l’enseignement et qu’il tendrait à prendre de l’ampleur. Les résultats obtenus permettent de réitérer l’importance de développer les habiletés technologiques du personnel enseignant afin qu’il fasse un usage sécuritaire des réseaux sociaux. Ces données pourront avoir un écho auprès du personnel enseignant quant aux dimensions qui sont au coeur du Cadre de référence de la compétence numérique du Québec, dimensions telles qu’Agir en citoyen éthique à l’ère du numérique et Développer et mobiliser ses habiletés technologiques (Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 2019). De plus, les données rappellent l’importance de bien connaître les conséquences pour le personnel enseignant d’ajouter des gens qu’ils connaissent dans les réseaux sociaux. Savoir sécuriser son contenu dans les réseaux sociaux est une habileté technologique dont il ne faut pas sous-estimer l’importance, car les données personnelles diffusées dans les réseaux sociaux permettent de fournir des munitions aux personnes qui cyberharcèlent. D’ailleurs, dans des recherches futures, il pourrait être intéressant d’explorer des habiletés technologiques autres que la sécurisation de compte ou l’ajout de personnes inconnues dans les réseaux sociaux, afin de mesurer quelles habiletés sont les plus susceptibles de constituer un prédicteur de cyberharcèlement. Au-delà des retombées pour le personnel enseignant, les résultats obtenus pourraient sensibiliser les directions d’école, les élèves et leurs parents au cyberharcèlement. En effet, la prévention du phénomène ne peut pas reposer uniquement sur les usages du personnel enseignant : elle concerne l’ensemble des actrices et acteurs du milieu scolaire.