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Cet ouvrage traite de la crise financière qui a débuté aux États-Unis à la fin de 2007 et qui, rapidement, est devenue une crise mondiale non seulement financière, mais aussi économique et sociale. Il s’y intéresse de façon générale, tout comme il examine les aspects particuliers que cette crise a pris aux États-Unis, en Amérique latine, en Chine, en Europe et plus précisément en Grèce. Beyond the Global Capitalist Crisis est écrit par des chercheurs qui, dans leur grande majorité, sont des sociologues dont le point de vue est résolument marxiste. Ces chercheurs tentent non seulement de comprendre les causes et l’ampleur de la crise, mais aussi de savoir quels seraient les bouleversements idéologiques, sociaux et politiques qui permettraient de répondre durablement à celle-ci. La crise est en effet présentée comme la conséquence de l’exploitation capitaliste ; et seulement des luttes de classe qui briseraient cette exploitation et dépasseraient le capitalisme et ses contradictions permettraient d’en sortir une fois pour toutes.

La crise actuelle est montrée comme une suite et un approfondissement de toutes les autres qui secouèrent le système capitaliste. La cause primordiale de toutes ces crises est la surproduction de biens et de services relativement à une demande insuffisante. Insuffisante du fait de l’exploitation de la main-d’oeuvre et des bas salaires, et les avances de la technologie ont encore aggravé la situation en rendant superflue une grande partie de la main-d’oeuvre. Par ailleurs, comme le profit à tirer de la production industrielle tend à baisser, les capitalistes ne diminuent pas seulement les salaires et le nombre des travailleurs, ils deviennent aussi de plus en plus des financiers menant leurs affaires à une échelle globale. Cela ne signifie pas nécessairement une désindustrialisation, mais plutôt une délocalisation de l’industrie vers des pays où les profits sont plus avantageux, la main-d’oeuvre abondante et bon marché, les règlements laxistes et la fiscalité accommodante. Le capital financier est le maître d’oeuvre de cette délocalisation, comme il est le maître d’oeuvre de formes d’investissement diversifiées et de plus en plus spéculatives lui assurant des bénéfices élevés. Pour stimuler la demande, il a offert du crédit au-delà du raisonnable. Il a pris des risques exagérés parce que la perspective de profit était grande, du moins jusqu’au moment où les bulles qu’il a créées ont éclaté. Il a alors réclamé l’aide des États pour sauver les banques et autres institutions financières. Il a exigé et obtenu que soient socialisées ses pertes. C’est le contribuable qui en fin de compte doit payer, et ce sont les travailleurs qui doivent se serrer la ceinture, parce qu’ils seraient la cause de la crise, ayant exigé des salaires, des retraites, un filet de sécurité sociale excessifs. C’est du moins ce que prétend l’idéologie capitaliste qui domine nos sociétés et que véhiculent les médias. Heureusement, les victimes du capitalisme se mobilisent et travailleront à le remplacer par le socialisme. La crise sera pour le capitalisme ce que la chute du mur de Berlin a été pour le communisme.

On peut regretter quelques simplismes dans ce tableau. Cependant, s’il est tracé à grands traits, il a le mérite de la clarté. Il va surtout à l’essentiel et souligne les non-sens ou les contradictions du capitalisme. Surtout, il proclame l’injustice inhérente au capitalisme, sa culpabilité et celle des États qui le soutiennent. S’il est rafraîchissant de lire un tel réquisitoire, il demeure un réquisitoire et la prédiction de la fin du capitalisme me paraît relever de la politique fiction.

Ce livre est critiquable à différents égards. Premièrement, il s’en tient au modèle marxiste, ce qui ne signifie nullement qu’il soit erroné, mais plutôt qu’il se limite souvent à des généralités. Il apparaît à quelques occasions prisonnier de ce modèle, mais les néolibéraux aussi sont prisonniers de leur modèle. Ils sont peut-être plus fins dans leurs analyses, mais ignorent volontiers les coûts sociaux de l’économie qu’ils promeuvent. Deuxièmement, le livre qui est ici recensé voit poindre des promesses révolutionnaires dans la société actuelle souffrant de la crise. Je suis beaucoup plus réservé qu’il ne l’est à ce sujet. Ce qui me frappe surtout, c’est l’absence de révolte et de critique radicales contre le capitalisme dans les pays en crise, à commencer par les États-Unis, où la polarisation des revenus et les abus financiers sont pourtant criants. Si on y trouve une révolution qui réussit, c’est plutôt celle du Tea Party. Troisièmement, il compte sur une révolution socialiste pour résoudre les problèmes que crée le capitalisme, ce qui me paraît naïf au vu des expériences historiques. Quatrièmement, un des auteurs reconnaît le succès de la social-démocratie des trente glorieuses, bien qu’il se trompe sur la datation de cette période. Il reconnaît qu’elle réussit à soutenir la demande et donc à éviter la surproduction. Pourquoi, dans ce cas, ne pas préconiser de la rétablir ? Sans doute parce que le marxisme l’a condamnée et que cela vaut plus que les expériences historiques. Cinquièmement, la Chine est présentée comme une puissance rivalisant avec les États-Unis et offrant un modèle de développement où l’État joue le premier rôle. L’analyse est bien menée, mais aucune réserve ou critique n’est formulée à l’égard de la Chine.

Bref, nous voyons dans cet ouvrage une dénonciation vigoureuse du capitalisme, de ses crises et de la façon dont il réussit à faire porter par les États et les travailleurs ses faillites les plus évidentes. Mais le livre ne convainc pas quand il annonce la fin du capitalisme et les promesses du socialisme.