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Introduction

La population de la ville d’Ottawa devient de plus en plus diversifiée. Cela est aussi vrai pour sa communauté francophone. Le recensement de 2001 indique que la population immigrante francophone constitue 12,3 % de la population francophone et que 12 % de l’ensemble de la population francophone dit appartenir à une minorité visible. Les personnes immigrantes s’ajoutent à la communauté et travaillent, étudient et vivent en français. Elles viennent enrichir non seulement la communauté francophone, mais la communauté entière.

Pourtant, selon la définition de « Francophone » de Statistique Canada, ces personnes sont exclues de la population francophone. Statistique Canada définit comme « Francophone » toute personne dont le français est la première langue apprise à la maison durant l’enfance et encore comprise au moment du recensement. Cette définition étroite exclut un grand nombre de personnes, notamment les personnes francophiles, immigrantes ou issues de communautés ethnoculturelles, qui choisissent de vivre en français. C’est pourquoi l’Assemblée francophone et le Comité interagences, sous la direction du Conseil de planification sociale d’Ottawa, a cherché à développer une nouvelle définition de la communauté francophone, tenant compte davantage de l’usage de la langue française que de la variable de première langue apprise. Cette nouvelle définition, qui offre un portrait plus complet et représentatif de la communauté francophone d’Ottawa, inclut donc :

  • toute personne pour qui le français, ou le français et une langue non officielle, sont les langues maternelles, et qui peut soutenir une conversation en français;

  • toute personne qui a le français comme première langue officielle, peu importe sa langue maternelle;

  • toute personne qui parle le français, ou le français et une langue non officielle, le plus souvent à la maison;

  • une répartition égale des individus qui ont le français et l’anglais comme premières langues officielles parlées.

Méthodologie

Ce projet a été développé par un comité directeur mis sur pied par l’Assemblée francophone et Comité interagences. Le comité directeur était composé de francophones provenant de divers secteurs, notamment de l’Université d’Ottawa et des paliers gouvernementaux, local et fédéral, des bailleurs de fonds communautaires, des organismes communautaires et des groupes ethnoculturels.

Par l’analyse des données les plus récentes de Statistique Canada, extraites du recensement de 2001, cette étude cherchait dans un premier temps à mieux éclairer certains aspects démographiques et sociaux qui caractérisent les francophones d’Ottawa. Tous les groupes et les individus auxquels nous faisons référence dans ce rapport sont des francophones, peu importe leur appartenance ethnique. Afin de mieux mettre en perspective certaines statistiques, des comparaisons sont dressées entre l’ensemble de la population de la ville d’Ottawa d’une part, et d’autre part, la population francophone, les francophones de souche, les personnes immigrantes et les personnes de minorités visibles francophones qui y habitent. Ce rapport descriptif présente des données au sujet des francophones de souche, des groupes immigrants et de minorités visibles francophones.

Dans un deuxième temps, ce projet vise à cerner certaines des forces de la communauté francophone en identifiant les ressources et les atouts qui y sont actifs, et en tentant de mieux comprendre leur contribution à la communauté. Nous avons surtout cherché à identifier les groupes informels et les organismes formels et structurés. La collecte de données a été effectuée au moyen de groupes focus et par la consultation des divers répertoires francophones. Les participants des groupes focus ont été invités à partager l’information qu’ils possédaient au sujet des groupes et associations de leur réseau et à expliquer la contribution de ceux-ci à la communauté francophone. Près de cinq cents atouts formels et informels ont été identifiés et sont répertoriés dans le rapport complet.

Afin de mettre en lumière les principaux éléments de notre étude, nous présentons d’abord les faits saillants de l’analyse des données du recensement. La deuxième partie explique le recensement des atouts et présente l’apport des participants concernant la contribution des atouts à la communauté francophone. La dernière partie du rapport offre des pistes de réflexion axées sur l’analyse de certaines des données qui émanent de la recherche.

Résultats de l’analyse des données statistiques

L’analyse des statistiques a permis de conclure que certains groupes au sein de la population francophone font face à plusieurs obstacles tels que l’emploi, le revenu et l’habitation.

Répartition des groupes d’âge

En général, les francophones en Ontario ont tendance à être plus âgés que l’ensemble de la population. Les francophones d’Ottawa ont, eux aussi, une représentation légèrement plus élevée dans les groupes d’âge des 45 à 64 ans, des 65 à 74 ans et des 75 ans et plus, lorsqu’on les compare à l’ensemble de la population. De plus, ils sont sous-représentés dans les groupes d’âge de 0 à 4 ans et de 5 à 14 ans, ce qui contribue au vieillissement de la population. Les personnes de minorités visibles francophones, de leur côté, constituent le groupe avec la population la plus jeune. Elles ont une représentation élevée dans les groupes d’âge des 0 à 24 ans, et elles sont sous-représentées dans les catégories d’âge des 45 à 75 ans et plus.

Éducation

Parmi les personnes qui détiennent un diplôme d’études postsecondaires, il y a des différences marquées entre les personnes immigrantes, la population francophone et l’ensemble de la population d’Ottawa. Les données démontrent que le taux d’études postsecondaires chez les personnes immigrantes est nettement supérieur à celui des autres groupes (62 % comparativement à 51 % et 55 % respectivement). Cette tendance est particulièrement prononcée pour les immigrants de première génération et pour ceux qui ont immigré avant 1980. Cet écart est encore plus marqué entre les immigrants et les francophones de souche, lesquels ont, à 50 %, des études postsecondaires. Chez les francophones de minorités visibles, on retrouve des taux d’éducation similaires à ceux de l’ensemble de la population. Cependant, ce groupe se distingue nettement de la population francophone et des personnes immigrantes par le taux élevé d’individus qui fréquentent l’école à temps plein (29 % comparativement à 12 % chez la population francophone et 19 % chez les immigrants).

Les ménages

Les personnes immigrantes, et surtout les personnes de minorités visibles, ont un taux très élevé de ménages de plus de six personnes : 13 % pour le premier groupe et 19 % pour le deuxième, comparativement à 5 % pour l’ensemble de la population francophone. On constate que les immigrants et les minorités visibles constituent des ménages à faible revenu dans une proportion supérieure à celle de l’ensemble de la population (31 % chez les immigrants et 43 % chez les minorités visibles, comparativement à 15 % pour l’ensemble de la population). Ces taux sont très élevés comparativement à ceux des personnes immigrantes et de minorités visibles anglophones : 23 % de ménages avec un faible revenu chez les immigrants anglophones et 31 % chez les minorités visibles anglophones. Par comparaison, les francophones de souche et les francophones d’origine chinoise constituent moins souvent des ménages à faible revenu avec 14 % chacun.

Marché du travail

On relève des différences marquées sur le plan de l’emploi entre les francophones de souche, les immigrants et les minorités visibles, chez qui le chômage est plus marqué. Les francophones de souche connaissent un bas taux de chômage (6 %), alors que l’on note des taux très élevés chez les immigrants (12 %) et les personnes de minorités visibles (16 %), avec des différences plus marquées chez les Noirs et les Arabes (20 % et 12 % respectivement). Toutefois, ce ne sont pas tous les groupes de minorités visibles qui ont des difficultés face au marché du travail. Les personnes d’origine chinoise affichent un taux de chômage très bas (4 %) tout en ayant des taux d’activité et d’emploi élevés (75 % et 73 % respectivement). Il est à noter que les personnes originaires de l’Asie du Sud-Est affichent un taux de chômage de 0. Cependant, elles ont le taux d’activité le plus bas (62 %).

Revenu d’emploi

Le revenu d’emploi varie selon différents facteurs, tels que l’âge, la profession, le niveau de scolarité et d’instruction, l’activité et le domaine d’emploi. À Ottawa, 79 653 francophones âgés de 15 ans et plus occupent un emploi rémunéré, soit 59 % de cette population. Ces derniers obtiennent un revenu moyen d’emploi légèrement inférieur à celui de l’ensemble de la population (39 332 $ comparativement à 39 713 $). Cependant, il y a une différence entre le revenu moyen d’emploi des francophones de souche et celui des personnes de minorités visibles, l’écart étant de 11 758 $. Les Noirs affichent le revenu moyen d’emploi le plus bas (22 060 $) de tous les groupes. En ce qui a trait aux individus qui sont sans revenu d’emploi, les minorités visibles connaissent un taux significativement plus élevé que l’ensemble des autres groupes (55 %).

Revenu avec ou sans transferts gouvernementaux

Les transferts gouvernementaux représentent la somme des montants versés à un individu par tous les paliers de gouvernement. Ces transferts comprennent, entre autres revenus, la pension de sécurité de la vieillesse et le supplément de revenu garanti, les prestations d’assurance-emploi, les prestations d’aide sociale et la prestation fiscale canadienne pour enfants. Parmi les francophones, on retrouve plus d’individus qui reçoivent des transferts gouvernementaux que dans l’ensemble de la population (47 % comparativement à 44 %). Ce sont les francophones de souche qui ont le plus haut taux (54 %), alors que les minorités visibles sont le groupe avec le taux le plus bas (43 %).

Recensement des atouts et apports à la communauté francophone

Le recensement des atouts comme outil

Le recensement des ressources est un outil utilisé pour identifier les atouts d’une communauté. Cet outil émane du principe que chaque communauté possède des ressources pouvant être mobilisées ou enrichies afin d’amener des changements et qu’elle est capable de définir ses besoins, de relever les situations problématiques et de mettre en place un plan d’action pour y remédier. L’outil sert à identifier les atouts facilitant le développement communautaire, à établir des liens entre les atouts et les ressources afin de bâtir une communauté plus solide et à développer des partenariats au sein de la communauté.

En voici quelques exemples : les atouts individuels tels que les capacités, habiletés, expériences et connaissances des personnes formant la communauté; les groupes informels, à savoir, des citoyens se réunissant pour répondre à des buts ou objectifs communs; les organismes formels et structurés tels que les institutions et les centres communautaires; les projets de développement économique communautaire.

Apport à la communauté

Afin d’établir ce que les groupes informels et formels apportent à la communauté francophone, trois groupes focus ont été organisés entre les mois de mars et de juin 2004. Une trentaine de personnes associées à une diversité de groupes communautaires, d’organismes et de groupes culturels y ont participé.

L’analyse des propos des participants a permis de dégager certains thèmes traitant de la signification accordée aux divers types d’atouts et de leur contribution à la communauté francophone. Les groupes formels et informels contribuent à la communauté francophone de manière importante, quoique différente.

Contribution des organismes formels

Les propos des participants indiquent que les organismes formels assurent une visibilité à la culture francophone. Les atouts formels seraient ainsi des instruments essentiels au maintien et à la promotion de l’identité francophone. Certains participants ont exprimé l’avis que les organismes et les institutions occupent même un rôle central dans la formation de l’identité culturelle des francophones. Les organismes francophones assurent une équité dans la prestation et la distribution des services et favorisent la survie de la langue française en permettant aux individus de recevoir des services dans cette langue.

Par ailleurs, les organismes avec des structures déterminées et établies résistent davantage aux aléas, ce qui favorise une continuité qu’on ne retrouve pas toujours dans les groupes informels. Les dossiers et les documents maintenus par ces organismes constituent des archives, protégeant l’héritage francophone et enrichissant l’historiographie de la francophonie ontarienne.

Selon plusieurs, l’existence des organismes formels francophones reflète le dynamisme de la communauté francophone. Les organismes engendrent un esprit de collectivité puisqu’ils fournissent des occasions de travailler ensemble en tant que francophones, par exemple dans la création de services et de ressources ou par le biais de comités ou de conseils d’administration. Les participants indiquent que ces services et organismes redonnent le pouvoir aux francophones en démontrant que la francophonie est là pour demeurer. Comme l’exprime un des participants :

« Ce qu’on appelle être bien chez nous dans notre communauté, ça n’existerait pas s’il n’y avait pas ce sentiment d’appartenance et de collectivité et c’est ça l’utilité des groupes formels et puis c’est ça qui nous permet de vivre. »

La présence des organismes formels contribue à la création d’un sentiment de bien-être communautaire. Ce sentiment de communauté existe entre les francophones d’Ottawa, en dépit de la dispersion géographique de ses membres sur tout le territoire de la ville : « Les services formels créent un esprit de collectivité dans un groupe linguistique comme le nôtre ».

Contribution des groupes informels à la communauté francophone

Les participants soulignent que les groupes informels permettent de répondre aux besoins des francophones qui ne peuvent être comblés par les services formels, quelles qu’en soient les raisons (contraintes budgétaires, etc.). Ils permettent aux individus d’exercer un contrôle sur leur communauté, sur leur groupe, ainsi que de pourvoir à leur propre bien-être. Les services et les activités offerts par les organismes ne répondent pas à tous les besoins exprimés par les membres de la communauté. Les groupes informels viennent donc compléter ces services, tout en permettant aux individus d’organiser des activités qui reflètent leurs goûts. Les activités et les horaires reflètent les préférences des membres et sont modifiables aux besoins. Ce type d’atout informel est souple et s’ajuste à des réalités ponctuelles.

Tous les participants rapportent que très souvent, les organismes formels désignés bilingues n’offrent pas nécessairement de services en français. Ce manque d’activités et de services offerts dans la langue maternelle engendre une frustration et soulève la nécessité d’organiser des activités qui répondent mieux aux besoins linguistiques des individus.

De plus, d’après les participants, plusieurs groupes informels se forment selon l’urgence d’un besoin. Les groupes informels donnent le pouvoir aux francophones et encouragent l’affirmation de soi. Ces groupes permettent aussi aux individus de s’impliquer dans l’amélioration des conditions sociales des francophones. La lutte pour les services en français est, selon les participants, une lutte pour l’égalité : les services que reçoivent les francophones doivent équivaloir à ceux dont bénéficie la majorité anglophone. Souvent par le biais de regroupements informels, la communauté francophone d’Ottawa s’occupe du maintien de ses services et de ses organismes. Elle est toujours prête à les défendre.

Les limites des groupes informels

De l’avis des participants, bien que les groupes informels puissent combler des besoins de la communauté francophone, ils présentent néanmoins des limites.

La participation des membres est de courte durée au sein des groupes informels puisqu’ils naissent souvent d’un besoin immédiat ou d’une cause. Une fois le besoin comblé, les membres ne ressentent pas la nécessité de maintenir leur participation dans le groupe. De plus, le recrutement, nécessaire à la survie du groupe, est parfois difficile, particulièrement si la transmission d’informations s’effectue de bouche à oreille. Enfin, il y a la question de la précision de l’information partagée. Tout cela contribue à la fragilisation des groupes et au manque de continuité.

La publicité entourant l’existence des groupes constitue une limite de plus. Selon les participants, dans plusieurs cas, seuls les membres qui font partie des groupes informels en connaissent l’existence. Un des participants déclare qu’être au courant de l’existence des groupes dépend principalement des intérêts de l’individu ainsi que de son cercle social : « Je suis une personne âgée et j’ai 23 petits-enfants. J’ai l’impression qu’il n’y a rien pour mes petits-enfants puisque je ne fais pas ces activités-là. Je ne sais pas ce qui existe ».

Enfin, la majorité des groupes informels n’ont pas accès aux sources de financement. Les frais associés à la participation doivent être déboursés par les membres, ce qui peut limiter la participation et même exclure les individus à faible revenu.

La création des groupes informels et formels au sein de la communauté ethnoculturelle francophone

Les participants issus de minorités visibles et les nouveaux arrivants ont évoqué des raisons justifiant la création de leurs propres groupes informels ou organismes formels au sein de la communauté francophone. Selon eux, les organismes formels, conçus à l’origine pour servir les francophones de souche, ne tiennent pas compte des différences culturelles. Quoique la langue constitue le lien principal de la communauté francophone, on déplore une résistance à aborder les problématiques et les besoins dans une perspective culturelle plutôt que primordialement linguistique. Non seulement les individus veulent-ils se faire servir en français, mais ils souhaitent aussi que les intervenants communautaires sachent qu’ils font face à des obstacles particuliers, distincts de ceux des francophones de souche. Ce manque de compréhension mène à la création de services développés par les groupes immigrants et de minorités visibles. Un des participants exprime ce que ressentent certaines personnes immigrantes et de minorités visibles : « Nous sommes encore, sur le plan francophone, à la défense et à la promotion de la langue française et nous oublions que la langue n’est qu’un véhicule, et qu’il y a une autre partie de l’être humain, qui est sa culture, son être, et ce qu’il exprime ».

Quoique les participants remarquent une amélioration des services au sein des organismes francophones face à la reconnaissance des réalités multiculturelles, ils déplorent chez les francophones de souche un manque de connaissance du processus d’intégration des nouveaux arrivants.

Conclusion

Des recherches nous indiquent que certains groupes francophones semblent désavantagés, tant par rapport aux autres groupes francophones qu’à la population en général. L’analyse des statistiques nous a permis de le confirmer et les conclusions de cette étude nous amènent à soulever les questions suivantes :

  1. Obtenir un emploi peut représenter un défi de grande importance, particulièrement pour les francophones immigrants et de minorités visibles. Ces groupes connaissent beaucoup de difficultés à trouver un emploi équivalant à leur niveau de compétences. Un grand nombre d’entre eux occupent des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés et sous-payés. Très souvent, l’éducation et l’expérience de travail acquises dans le pays d’origine ne sont pas reconnues au Canada. De plus, puisque l’anglais prédomine comme langue de travail à Ottawa, celles et ceux qui ne le parlent pas font face à beaucoup plus d’obstacles. Quels sont les facteurs qui expliquent dans le marché du travail la sous-représentation des personnes de minorités visibles, notamment des personnes noires, et ce, en dépit de niveaux de scolarités équivalents ou supérieurs à ceux des autres francophones?

  2. Le bas taux de personnes appartenant à des minorités visibles et recevant des transferts gouvernementaux engendre des préoccupations puisque ces dernières, plus particulièrement les Noirs, appartiennent au groupe qui rapporte un revenu moyen d’emploi moins élevé, rapporte plus d’absence de revenu à déclarer, et a un taux élevé de ménages à faible revenu. Comment expliquer ces taux moins élevés de transferts gouvernementaux chez ces groupes francophones?

Plus de recherches sur la communauté francophone sont nécessaires pour identifier les obstacles auxquels sont confrontés certains groupes face à l’emploi, au revenu, et à l’habitation. Une meilleure compréhension permettrait, notamment, de mieux cibler le développement de politiques, de programmes et de services visant à combler les besoins spécifiques aux divers groupes formant la population francophone.