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Ces jours-ci, Michael M. Ames quitte la direction du Musée d’anthropologie de l’Université de Colombie-Britannique pour prendre sa retraite. Nommé en 1974 et terminant officiellement ses fonctions en 1997, il a repris du service dans les dernières années (2002-2004) en tant que directeur intérimaire d’une institution dont il aura finalement assuré la gouverne pendant plus de vingt-cinq ans. Nous désirons ici souligner son oeuvre remarquable, reconnaître son rôle de précurseur et leader dans la réforme de l’institution muséale au Canada, notamment par l’influence considérable qu’il a exercée dans l’amélioration des relations avec les communautés autochtones, l’établissement d’une éthique et la proposition de nouvelles pratiques.

Un court rappel de son cheminement

Michael M. Ames est né à Vancouver où il a étudié et obtenu un baccalauréat en anthropologie en 1956. En 1961, l’Université Harvard lui confère un doctorat en anthropologie sociale. De retour à Vancouver, il enseigne au Département d’anthropologie de l’University of British Columbia, dont il devient professeur agrégé en 1970. Ses principaux chantiers de recherche l’ont mené au Sri Lanka et en Inde où il s’est intéressé à la religion, aux structures familiales et à leur développement. Dans l’Asie du Sud-Est et au Canada, il a également étudié la famille, les politiques culturelles, les nations autochtones, les rapports entre la culture publique et les idéologies. Il préside le Shastri Indo-Canadian Institute (1974-1977) qui a pour mission de promouvoir les études indiennes au Canada. Parallèlement, en 1974, il est nommé directeur du Museum of Anthropology (MOA), poste qu’il occupera à mi-temps, poursuivant par ailleurs son enseignement. Michael M. Ames prend officiellement sa retraite du MOA en 1997. Ruth Phillips est alors élue à la direction du musée. Nommé professeur émérite en 1998, il demeure actif. Il met sur pied un cours d’anthropologie urbaine et s’intéresse à l’un des quartiers les plus défavorissé de Vancouver, le Downtown Eastside. Président du programme de revitalisation des langues des Premières Nations, il s’ingénie à créer de nouvelles coopérations entre les communautés autochtones et l’université, entre autres le séminaire « Musqueam 101 », où il instaure une collaboration entre le doyen des arts et le conseil de bande Musqueam. En 2002, il reprend au pied levé la direction du MOA, pour une période intérimaire qui durera en fait jusqu’à l’automne 2004.

Bien que Michael M. Ames ait consacré au MOA une grande partie de sa vie, son oeuvre ne s’arrête pas là. Sa relation avec les objets de musée, soit disant coeur de ce genre d’institution, est d’ailleurs tout ambiguë. Son principal intérêt se porte d’abord sur les gens, les rapports entre eux, avec la société et le monde. La reconnaissance que lui ont exprimée les communautés anthropologique, scientifique et muséale illustre l’étendue et la pertinence de son action. Entre autres, il a reçu le prix Weaver-Tremblay pour sa contribution exceptionnelle à l’anthropologie sociale (1994). Il est nommé « Fellow » de la Société Royale du Canada (1979) et promu « Fellow » de la Society for Applied Anthropology (1996) et également de l’Association des musées canadiens (1996). Élu membre de l’Ordre du Canada (1998), le Conseil international des musées du Canada lui remet son prix en 2002 afin de souligner le rayonnement international de son exceptionnelle carrière, de son oeuvre de précurseur qui a permis l’avancement théorique et l’adaptation des pratiques de la muséologie aux réalités contemporaines.

L’établissement d’un modèle de musée ouvert aux communautés

Michael M. Ames a contribué de façon significative à faire du MOA, une institution pourtant relativement petite, l’une des plus dynamiques au pays et l’une des mieux reconnues au plan international. Tablant sur les forces vives de ce musée, soit les enseignants, le personnel professionnel (conservateurs, designers et artistes) et les étudiants, il a travaillé à élever les critères de qualité des réalisations. Privilégiant le dialogue entre les cultures et le décloisonnement des barrières académiques et institutionnelles, il a favorisé une participation active de membres des communautés autochtones, d’artistes, sculpteurs, danseurs, clowns, historiens de l’art, spécialistes des traditions orales. Son engagement soutenu et articulé pour un musée ouvert et responsable l’a amené à proposer et à soutenir des solutions novatrices, aux limites de l’expérimentation, transformant le MOA en un véritable musée-laboratoire, au bénéfice de la communauté muséale, tant ici qu’à l’étranger. Par exemple, dans une volonté de transparence des pratiques muséographiques, son équipe a rendu les collections accessibles en permanence par le biais des « réserves visibles », ou encore, pour répondre plus rapidement aux attentes des différents publics, son équipe a créé des « source books »[1].

L’entreprise courageuse de Michael M. Ames visant à rapprocher les peuples dans son propre pays – peuples autochtones et autres minorités culturelles – a servi d’exemple dans d’autres pays qui, comme le Canada, ont un territoire occupé par des nations jeunes, issues de la colonisation, et revendiqué par les nations autochtones qui y sont établies depuis longtemps (États-Unis, Nouvelle-Zélande, Australie). Dans ce domaine, il a participé à l’instauration de nouvelles pratiques, à l’extérieur de l’institution, notamment à travers le Groupe de travail sur les Premières Nations et les musées en 1989, et les multiples interventions et interpellations du milieu muséal, et à l’intérieur, en encourageant des initiatives du personnel du MOA dans ce sens.

Les publications de Michael M. Ames sont nombreuses. Elles concernent le Sri Lanka, l’Inde et le développement, ainsi que les politiques culturelles, les musées et les Autochtones. Anthropologue de formation, il a su tourner un regard original à la fois critique et constructif sur l’institution muséale. Collaborateur régulier dans de nombreux autres périodiques et ouvrages collectifs au Canada, aux États-Unis, en Inde, en Nouvelle-Zélande, an Australie, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en France, Michael M. Ames n’a jamais manqué l’occasion de faire avancer le débat sur des questions cruciales, réflexions qu’il continue de partager avec la communauté internationale dans des travaux plus récents.

Son ouvrage majeur, Cannibal Tours and Glass Boxes : The Anthropology of Museums (1992), fait aujourd’hui autorité dans la réflexion sur les musées. Reconnu internationalement, il demeure un ouvrage de référence. Par ses propos de nature épistémologique, il participe à la remise en question de l’autorité du discours académique et muséal. Fort de sa pratique, il sait identifier les problèmes réels, souvent en précurseur[2], et il n’hésite pas à proposer des solutions inventives. À l’écoute des critiques justifiées des groupes minoritaires, les plus souvent ignorés de la muséographie traditionnelle, il sait instaurer un dialogue avec eux.

L’instauration d’une muséologie « coopérative »

Loin d’une rectitude politique primaire, Michael M. Ames n’hésite pas à adopter des positions souvent inconfortables. Très tôt, dans une attitude d’ouverture peu commune à l’époque, il oeuvre à la reconnaissance et la promotion du droit des membres des cultures d’où sont issus les objets conservés par les musées, de façon à faire entendre et faire respecter leurs discours. En même temps, il intègre le droit, voire la nécessité, pour les universitaires et les professionnels des musées de présenter les résultats de leurs recherches suivant les modèles reconnus de l’« objectivité » scientifique ou encore, de façon moins conventionnelle, sur celui de la « subjectivité » créatrice. Reconnaissant le droit de parole des autres, il a réussi à sensibiliser la communauté internationale au fait qu’il n’était plus possible de parler pour les autres.

Pour James Clifford (1997), Michael M. Ames a occupé une position qui peut paraître ambivalente, car la marge était étroite pour les réformistes de musée, entre les périodes de restrictions budgétaires et l’augmentation des pressions politiques qui s’exerçaient dans des directions divergentes. Ardent défenseur de la liberté d’expression et de l’indépendance face aux pressions politiques, Michael M. Ames aura encouragé les professionnels de musées à développer une réflexion plus profonde, remettant souvent en question les pratiques inégalitaires (ou injustifiées), issues du passé, et les idéologies qui les sous-tendent. Réformiste de l’institution, exerçant une pression constante sur l’establishment muséal, le poussant à répondre plus adéquatement aux besoins des Premières Nations, il aura participé par l’exercice du compromis et de la conciliation à la création d’une « muséologie coopérative ».

Bibliographie sélective de Michael M. Ames sur la muséologie

Ames M. M., 2000, « Are Changing Representations of First Peoples in Canadian Museums and Galleries Challenging the Curatorial Prerogative? » : 73-88, in R. West (dir.), The Changing Presentation of the American Indian : Museums and Native Cultures. Washington et New-York, National Museum of the American Indian et University of Washington Press.

—, 1999, « Why Post-millenial Museums Will Need Fuzzy Guerrillas », Focaal, Tijdeschrift voor anthropologie, 34 : 195-204.

—, 1999, « How to Decorate a House : The Renegotiation of Cultural Representations at the Museum of Anthropology », Museum Anthropology, 22, 3 : 41-51.3.

—, 1997, « Multicultural or Multicluttered : Museums and the New World Disorder » : 295-303, Unlocking Museums, Proceedings 4th Annual Conference of Museums Australia. Darwin, Museums Australia Northern Territories Branch.

—, 1995, « Thirty-One Propositions on Changing Museums : An Introduction to the Glenbow Case Study » : 1-7, in R. R. Janes (dir.), Museums and the Paradox of Change : A Case Study in Urgent Adaptation. Calgary, The Glenbow Museum.

—, 1994, « Working the Border Zones : Some Practical Applications of Museum Anthropology », Proactive, 13, 2 : 2-13.

—, 1993-1994, « What Happens When the Object becomes the Subject? », Harbour, 3, 1 : 81-5.

—, 1992, Cannibal Tours and Glass Boxes. The Anthropology of Museums. Vancouver, University of British-Columbia Press. (2e édition de Museums, The Public and Anthropology [1986], revue et considérablement augmentée).

—, 1990, « Cultural Empowerment and Museums : Opening Up Anthropology Through Collaboration » : 158-173, in S. Pearce (dir.), Objects of Knowledge. Londres, The Athlone Press.

—, 1988, « Daring to be Different : An Alternative », Muse, 6, 3 : 39-47.

—, 1988, « Proposal for Improving Relations between Museums and Indigenous Peoples of Canada », Museum Anthropology, 12, 3 : 15-19.

—, 1987, « A New Indian History For Museums », Native Studies Review, 3, 2 : 17-25.

—, 1986, Museums, The Public and Anthropology. New Delhi et Vancouver, Concept Publishing House et Vancouver University Press.

—, 1986, « Report from the Field : The Democratization of Anthropology and Museums », Culture, 6, 1 : 61-64.

—, 1983, « De-Schooling the Museum : A Report on Accessible Storage for the International Committee of Architecture and Museum Techniques », Thirteenth General Conference for the International Council of Museums. Londres, juillet-août.

—, 1981, « Preserving Access : A Report on an Experiment in Visible Storage », Gazette, Journal of the Canadian Museums Association (Ottawa), été-automne : 22-33.

—, 1977, « Visible Storage and Public Documentation », Curator, 20, 1 : 65-79.

Ames M. M. et & M. Halpin (dir.), 1980, Manlike Monsters on Trial, Early Records and Modern Evidence. Vancouver, University of British Columbia Press.

Ames M. M., J. Harrison et T. Nicks, 1988, « Proposed Museum Policies for Ethnological Collections and the Peoples They Represent », Muse, 6, 3 : 47-57.

Ames M. M., K. Krug et A.-M. Fenger, 1999, « The Four Faces of MOA : A Museum out of the Ordinary », Archiv Für Volkerkunde, 50 : 249-263.

Ames M. M. et K. Krug, 2000, « What’s Wrong with Museums? », BC Museum Roundup, 215, automne.