Topoi 21 (2017) p. 173-192 CRISES MONÉTAIRES ET CRISES DU MONNAYAGE DANS LE MONDE GRÉCO-ROMAIN Une vue perspective
La crise monétaire (en réalité du monnayage) n’est pas un sous-genre, en l’occurrence de la crise économique. Elle est un genre en soi dont les effets ne sont
pas moins dévastateurs que le déclin de la productivité, les grands fléaux naturels
ou la guerre 1. Voilà ce que soutient Nicolas Copernic (1473-1543) en préambule d’un mémoire adressé au début du xvie s. au chanoine Felix Reich : «Quelques
innombrables que soient les fléaux qui causent d’ordinaire la décadence des
royaumes, des principautés et des républiques, les quatre suivants sont néanmoins, à mon sens, les plus redoutables : la discorde, la mortalité, la stérilité de la terre (nb : qui est ici la crise économique conçue comme crise de la production) et la
dépréciation de la monnaie. Les trois premiers de ces fléaux sont si évidents que
personne ne les ignore, mais le quatrième, concernant la monnaie, n’est admis que par peu de gens, par les esprits les plus ouverts, car il ne ruine pas les états d’une façon violente et d’un seul coup, mais peu à peu et d’une manière presque insensible » 2. Quant aux causes de la dépréciation de la monnaie, il les range en deux catégories. D’abord, écrit-il : «La monnaie se déprécie le plus souvent à cause de sa quantité excessive, savoir quand une si grande quantité d’argent
a été transformée en monnaie que l’argent métal devient plus désirable que la monnaie elle-même » . Mais, poursuit-il, la monnaie se déprécie aussi pour d’autres
1. Selon Christel Müller (Müller 2011, p. 333), la littérature grecque identifie trois
types de crises : la guerre (polemos), la disette frumentaire (sitodeia) et l’absence de ressources (aporia tōn chrēmatōn).
2. Traduction française du texte latin reprise à Le Branchu 1934, I, p. 5. Cette dissertation dont l’original est perdu et qui visait à réagir contre le détestable
exemple donné alors par la Prusse, fait aujourd’hui tenir Copernic pour le véritable
inventeur de ce qui a longtemps été appelé la «loi de Gresham » selon laquelle «la
mauvaise monnaie chasse la bonne » . Pour une description grecque de cette «loi de Gresham » , voir déjà Aristophane, Grenouilles, 718-733.