LES LIVRES MANUSCRITS EN POLOGNE ET EN RUSSIE

PAR JANUSZ TAZBIR

Malgré le développement rapide de l'imprimerie au XVIe siècle, encore au siècle suivant les lecteurs satisfaisaient leurs besoins de lecture en recourant aux textes manuscrits dont circulaient parfois de nombreuses copies. Ce phénomène était propre à l'Europe centrale et orientale et notamment, même si c'était à des degrés divers, aux deux grands pays voisins : l'État russe moscovite et la République nobiliaire polono-lituanienne. La part la plus importante de « la littérature baroque polonaise fut diffusée au moyen de codices manuscrits, ce qui ne signifie pas que ces œuvres se soient trouvées hors de la réception littéraire. Elles étaient bien diffusées, mais les techniques de leur diffusion correspondaient à un état antérieur à l'invention de l'imprimerie.1 »

Bien plus, la Moscovie vit apparaître l'imprimerie presque cent ans après l'Europe occidentale, et très longtemps, jusqu'aux réformes de Pierre le Grand, elle répondit presque exclusivement aux besoins de l'Église orthodoxe. Qu'il suffise de rappeler que les dix-huit titres parus en Russie au XVIe siècle concernaient tous des questions religieuses et que, sur les quatre cent quatre-vingt-trois qui furent publiés au siècle suivant, à peine sept étaient des livres à dominante profane, ce qui équivalait à 1 ,45 % de toute la production imprimée du XVIIe siècle2 .

Si donc en Espagne on lisait Cervantes au fur et à mesure que paraissaient ses œuvres, en Italie Torquato Tasso, en Angleterre Shakespeare, en France Racine, Molière ou Pascal, ľunique écrivain russe du XVIIe siècle dont les œuvres aient été imprimées de son vivant était le poète et dramaturge Siméon de Polock (1629- 1680). De même, les œuvres des plus grands représentants de la littérature du baroque polonais, notamment les poètes Jan Andrzej et Zbigniew Morsztyn ou Wacław Potocki, ou bien parmi les prosateurs, le mémorialiste Jan Chryzostom Pasek, sont sorties des presses cent cinquante à deux cents ans après la date où elles furent écrites.

La comparaison de la République nobiliaire avec l'État russe paraîtra cependant fallacieuse si nous rappelons qu'à l'époque de la Renaissance, en Pologne, on éditait au fur et à mesure les œuvres des plus grands poètes et prosateurs de ce

Rev. Étud. slaves, Paris. LX/4. 1988, p. 797-81 1.