Mariage, office et marchandise à Paris à la fin du Moyen Age
par Pierre Thibault
La quête de la sécurité et du profit sans risque semble bien avoir été l'un des traits les plus caractéristiques de la mentalité des marchands parisiens à la fin du Moyen Age. Détenteurs du pouvoir économique et administratif avec l'accord implicite ou explicite du souverain, ils ont tout naturellement voulu se réserver le monopole de son usage et de ses profits, tout en se garantissant contre les risques judiciaires qu'ils encouraient dans l'exercice de leurs multiples activités.
Le mariage a été pour eux l'un des principaux instruments de cette politique. C'est par des alliances matrimoniales judicieusement préparées et contractées qu'ils ont pu, le plus souvent, renforcer d'une solide assise familiale la cohésion du groupe socioprofessionnel que constituait le "métier" auquel ils appartenaient.
A cet égard, le cas des changeurs parisiens se révèle particulièrement exemplaire. D'ascendance génoise, établie dans la capitale du royaume dès le milieu du XIVe siècle, spécialisée, de père en fils, dans le négoce des espèces, la famille des Landes contracta très vite de nombreuses et solides alliances avec ses homologues des rives de la Seine. L'une des plus notables, peut-être, fut celle que noua, après veuvage, le 22 octobre 1443, Pierre II des Landes avec Jeanne Clutin1. Sa seconde épouse était, en effet, fille et - très vraisemblablement - tante de deux changeurs connus de la capitale : Henri Ier Clutin2 et Jean de La Poterne3 qui avaient loué respectivement aux chanoines de la Sainte-Chapelle le 52e et le 21e change sur le Grand Pont de Paris1. Et comme ce dernier épousa Colette de Marie, l'une des filles de son collègue Jean de Marie, par ailleurs allié à Regnaud et à Enguerrand de Thumerys, nous sommes bien obligés d'admettre que les chefs des grandes familles du change parisien avaient élaboré une véritable stratégie matrimoniale à finalité économique. Et cette stratégie paraît avoir eu pour but principal d'entrecroiser inextricablement les intérêts
1. A.N., MM 821, f°69 r° ; P. Champion, François Villon. Sa vie et son temps, Pari>, nouv. éd., 1967, t. 2, p.32().
2. A. Lapeyre et R. Seheurer, Les notaires et secrétaires du roi sous les règnes de Louis XI, Charles VIII et Louis XII (1461-1515), Pari*, 1978, t. 2, pI.XXXII ; A. Lesort et H. Verlet, Epitaphier du Vieux Paris, t. .">, fascl^, Saint-Germain-l'AuxerroLi, Paris, 1971, p. 77, n° 2134 et n.l.
3. Ibid., p. 76, n0.).
4. (». ('omet. Comptes du collège des chanoines de la Sainte-Chapelle du Palais-Royal de Paris (1440-1 150), thèse «le IIIe cycle, Univ. <le Paris, 1962, 4 vol., dactylographiée, p.47, 53, 126, 133, 196, 201, 305, 310, 383, 388, 483, 493, 581 et 836.
5. P. Champion, op. cit., t. 2, p.344, n°10 ; A.N., X1 * 1484, 15 juillet 1461.
165
