GEORGES CONDOMINAS

L'entraide agricole chez les Mnong Gar (Proto-Indochinois du Vietnam central)

Comme dans la plupart des sociétés paysannes, les Mnong Gar du Vietnam central ont recours constamment à l'entraide villageoise, notam¬ ment lorsqu'une famille est frappée par le malheur ou au contraire, élargit son réseau d'alliance, ou encore lorsque la communauté entreprend un travail d'intérêt collectif. Mais il est un domaine où cette entraide revêt une forme particulière, que le vocabulaire désigne d'une expression dis¬ tincte, tâm ôop , avec l'organisation d'équipes tournantes (mpoi*).

Que la mort s'abatte sur un foyer, aussitôt tous les habitants du village accourent apporter au défont un don funéraire, toutes les femmes viennent le pleurer et les hommes participer à la construction du cercueil et à son transport au cimetière, au creusement de sa tombe et à son enterrement. Il y a alors simplement entraide au sens large, tâm kôôl. Ce dernier mot peut se traduire par «aider, soutenir » (y compris dans son acception purement matérielle). Quant au premier, tâm, il exprime la réciprocité. En effet, lorsque semblable malheur surviendra au sein de l'une des familles, celle-ci recevra à son tour le même soutien matériel, rituel et de main-d'œuvre, non seulement de celle qu'elle aura aidée, mais aussi de toutes les autres familles du village.

La participation aux cérémonies d'alliance (mariage, tâm bôh ou échange de sacrifices scellant une amitié rituelle par la foi jurée) célébrées par un foyer, est vue par les Mnong Gar sous son côté ludique (dlang raam ), plutôt que comme une aide. En effet, participer matériellement se réduit, pour chaque maisonnée, à la fourniture d'une jarre de bière de riz (avec un don supplémentaire compensé par un contre-don pour les foyers liés par la parenté au couple qui organise la fête). Cette participation est d'ailleurs largement compensée par la nourriture et la viande distribuées par les donneurs de la fête.

Quant aux travaux collectifs, c'est ce que l'on cc fait ensemble », lôh baal , alors que tâm kôôl suppose en plus la réciprocité. Il s'agit souvent de travaux de protection, soit contre le tigre (débroussaillement de l'espace entourant le village, élargissement de la piste conduisant au miir ), soit

Études rurales, 1974 , 53-54-55-56, janv.-déc., pp. 407-420.