LA CONCEPTION DU SALUT D'APRES LES ÉVANGILES SYNOPTIQUES

(Suite) (1).

Lorsqu'on passe des écrits du judaïsme aux évangiles, on a nettement l'impression de pénétrer sur un terrain nouveau. L'esprit de l'Evangile n'est plus celui des apocalypses ni des docteurs de la Loi. Jésus, d'après les trois synoptiques, innove manifestement : il donne à la pensée religieuse une direction nouvelle, dans l'ordre moral et spirituel. Toutefois ce changement porte moins sur le règne de Dieu transcendant que sur le messianisme terrestre. L'idée messianique, par les fluctuations qu 'elle avait subies pendant près de deux siècles au sein du judaïsme, révélait d'elle-même son insuffisance ou sa faillite. Sur ce point, l'espérance était décidément faussée. La chimère d'un avenir national, d'un salut comportant un bonheur parfait sur terre, n'était point une solution viable, et elle pesait lourdement sur la pensée juive au premier siècle. Sans doute, beaucoup d'âmes aspiraient à un bonheur d'ordre plus élevé, auprès de Dieu. Mais cette aspiration ne pouvait se réaliser, à leurs yeux, qu'après une période de préparation plus ou moins longue, où le Messie jouerait son rôle. Cette manière de concevoir le salut réduisait, il est vrai, la phase terrestre à des proportions plus modestes, en la faisant durer seulement jusqu'à la «consommation de l'âge présent ». Mais elle restait liée à l'idée nationale : l'aspiration à la délivrance politique, le désir de vengeance contre les ennemis de la Loi et des institutions judaïques, c 'est-à-dire contre les « païens » et les « pécheurs », avaient créé l'attente, dans le plus bref délai, d'un jugement ou châtiment d'ordre historique, en faveur des justes ou des élus.