CHRONIQUE PHILOSOPHIQUE

1. Il nous avait toujours semblé que la métaphysique du beau se constituait avec beaucoup de peine et que si elle avançait vers la précision scientifique, elle ne le faisait qu'avec une extrême lenteur. A la rigueur, on arrive.à s'entendre sur certains principes de la critique d'art, qui est comme la partie positive de l'esthétique, encore qu'il règne, là aussi, un relativisme assez déconcertant ; mais lorsque les penseurs tentent de s'élever aux plus hautes généralités de cette connaissance, la précision fait tellement défaut à leurs vues qu'ils laissent les esprits incertains et divisés; on tourne dans un cercle d'hypothèses plus ou moins brillantes beaucoup plus qu'on ne marche vers un savoir organisé. Autant le beau charme notre sensibilité, autant il embarrasse notre entendement si nous voulons le soumettre â l'analyse et enfermer dans l'unité d'une définition claire les» cas si divers où il nous remplit de sa douce émotion. On aime à lire lès traités d'esthétique et il est rare qu'on n'y trouve point quelque lumière à recueillir; mais il est plus rare encore qu'on n'en remporte pas de déception.

Nous sentions cette vieille impression se confit-mer en nous tandis que nous parcourions la thèse de M. Morice sur VEsthétique de Sully- Yrudhomme (1). Hàtons-nous de dire qu'il n'a pas tenu à l'auteur du livre que nous ne soyons revenu de nos preventions contre la méta*- physique du beau. Si nous avons été une fois de plus déçu, il n'en est pas la cause. Son travail est composé avec savoir et conscience. Peut- être pourrait-on concevoir un peu autrement l'arrangement des différentes parties de sa .thèse ; peut être l'ensemble donne-t-il l'impression d'une étude un peu sommaire, un peu maigre, où l'exposé et la critique des idées pourraient revêtir plus d'étendue et de vigueur. Mais si l'on juge le livre trop court, c'est une preuve qu'il a su intéresser et le reproche tourne à la louange de l'auteur. Si une douloureuse infirmité a fermé les yeux de M. Morice à la lumière du jour, le clair regard de son intelligence reste ouvert sur le monde des idées : il s'y meut à l'aise et nous nous félicitons qu'il décrive avec art ce qu'il y contemple.