Xénia MURATOVA

L image du gothique dans la littérature russe

« Le trois, le sept, l'as — le poursuivaient en rêve et sous maint aspect. Le trois s'épanouissait avec l'apparence d'une splendide fleur de magnolia; le sept figurait un portail gothique... »

A. Pouchkine

La Dame de pique

(Trad. André Gide et J. Schiffrin.)

L'image du gothique dans la littérature russe : à première vue, ce thème semble paradoxal. La Russie médiévale n'a pas connu le gothique comme style : on en relève quelques rares influences sur les frontières occidentales de l'ancienne Russie (le palais de l'Archevêché à Novgorod des xiV-xve siècles) et les exemples tardifs d'un gothique provincial à l'ouest de la Russie aux xvi*-xviie siècles (les églises de Biélorussie, à Novogrudok, par exemple). Mais ces contacts fortuits n'ont en rien modifié le développement de l'architecture russe, et les échos du gothique, dans le verticalisme des églises russes des xvr-xvne, sont presque méconnaissables.

Pour les voyageurs russes en Europe au xvn* et au xvine siècle, les églises gothiques, aux façades entièrement sculptées, sont des objets d'étonnement et d'émerveillement. Manifestations d'une autre foi, ces églises auraient dû être perçues par ces orthodoxes comme des monuments radicalement étrangers. En fait, l'idée de l'opposition des deux cultures chrétiennes, traduite par leurs différentes conceptions architecturales — le catholicisme avec le gothique, l'orthodoxie avec l'église en croix grecque à coupoles — sans être complètement étrangère à la pensée russe du xvin* et du xix* siècle, n'a pas eu le retentissement auquel on aurait pu s'attendre.

Les voix condamnant l'architecture gothique sont rares chez les Russes qui ont visité l'Occident; au contraire, ces voyageurs sont le plus souvent bouleversés par son ordre sublime, séduits par son caractère insolite. Les premiers Russes qui ont séjourné dans l'Europe de l'Ouest, des familiers de Pierre le Grand, comme P.A. Tolstoï (1645- 1729) ou le comte A.A. Matvéev (1666-1728), le premier grand diplomate russe en France, couvrent les pages de leurs journaux de voyage de remarques sur les monuments de cette architecture pour eux sans précédent1. Les mémoires d'André Bolotov (1738-1833), écrivain et premier économiste russe, contiennent des mentions d'églises et de tours gothiques2. Denis Fonvisine, fameux par ses pièces de théâtre moralisantes, où il tourne en dérision l'admiration des Russes pour