Michel-François DEMET

L'expérience de la folie et le fantasme

de la femme-de-pierre chez Ludwig Tieck

Le premier fait qui s'impose au lecteur des Contes de Tieck est le retour extrêmement fréquent des mêmes types humains, des mêmes situations, des mêmes relations entre les personnages. S'il est difficile de définir précisément ce que dit le poète, cela ne semble être qu'une seule chose à travers tous les textes que nous examinerons (Der blonde Eckbert, Der Runenberg, Die Elfen ; Der getreue Eckhart und der Tannenhàusser). Cette insistance que nous ne retrouvons avec une telle intensité que chez peu d'écrivains romantiques allemands revêt chez lui un aspect obsessionnel.

La question que nous posons est donc double :

1. — Pourquoi Tieck a-t-il choisi d'introduire ses propres fantasmes dans le cadre relativement rigide et apparemment conventionnel du « Conte » ? En d'autres termes quels sont les rapports entre la morphologie du Conte populaire et la morphologie du Conte romantique allemand ? Entre les fantasmes « collectifs » latents dans le Conte populaire et ceux qui affleurent dans le Conte selon Tieck ?

2. — Comment le lecteur pourra-t-il intégrer dans un ensemble cohérent le détail précis qui a suscité ces réflexions : la femme qui apparaît à Christian dans le Runenberg comme l'objet de ses désirs interdits et ensuite refoulés est une femme « de pierre », au surplus déesse des métaux ?

Voici les trois passages du Runenberg qui peuvent éveiller l'attention :

— Ein Licht [...] welches eine grosse weibliche Gestalt trug [...] Sie schien nicht den Sterblichen anzugehôren, so gross, so màchtig waren ihre Glieder, so streng ihr Gesicht » (p. 32 de l'édition Reclam : « une lampe [...] que portait une grande silhouette féminine. [...] Elle ne semblait pas appartenir à la race des mortels, tant ses membres étaient grands et puissants et son visage sévère »).

— « Nackt schritt sie [...] auf und nieder, und ihre schtoeren schweben- den Locken bildeten um sie her ein dunkel wogendes Meer, aus dem wie