Béatrice DIDIER

Sexe, société et création :

Consuelo et La Comtesse de Rudolstadt

On n'a pas fini de s'interroger sur Consuelo, le texte de George Sand qui est peut-être le plus riche de significations multiples et superposées. Roman de formation, certes, en qui Léon Cellier a fort justement vu notre Wilhelm Meister. « Opéra fabuleux » — l'opéra fonctionne à la fois comme signifié et comme signifiant, et l'on pourrait (mais là n'est pas notre propos) analyser toute l'œuvre comme un immense opéra, avec ses actes, ses grands airs, ses duos, ses ouvertures et ses coda. Récit d'un itinéraire, ce roman emprunte encore au genre littéraire qu'est le « voyage » à la fois sa liberté d'allure et une relative précision géographique, en tout cas une insertion dans l'espace. Mais il s'agit d'un voyage dans le temps, avant tout, — un temps qui permet la maturation des personnages, et, par delà toute évolution psychologique, une révélation. Consuelo devient une initiée et les spécialistes de l'occultisme n'ont pas manqué d'étudier la secte des Invisibles. Mais Consuelo apparaît surtout comme une figure mythique de l'artiste romantique. Cela seul suffirait à faire son originalité et peut-être aussi à susciter une sorte de scandale : femme et créateur, Consuelo s'inscrit contre toute une tradition culturelle qui refuse à la femme le génie, en particulier dans le domaine musical. Or l'héroïne, à travers une série d'épreuves, franchit victorieusement les étapes qui séparent la simple exécution de la création. Elle est cantatrice au début du roman ; à la fin, elle est compositeur (le simple manque du mot au féminin est déjà révélateur).

A travers les mille et une aventures du personnage, se dégage l'aventure fondamentale qui est celle de la création — et par conséquent de l'œuvre même. Consuelo avait reçu de son maître Porpora des éléments de composition musicale. A l'origine du roman, cette scène possède une valeur symbolique indéniable : Anzoletto, malade, est venu se réfugier dans la chambre de l'adolescente. « Le voyant dormir paisiblement, elle contempla avec recueillement ce beau visage pâle éclairé par la lune. Et puis, ne voulant pas céder au sommeil elle-même et se rappelant que les émotions de la soirée lui avaient fait négliger son travail, elle ralluma sa lampe, s'assit devant sa petite table, et nota un essai de composition que le Porpora lui