LE LIVRE DES LIVRES

La liturgie du centenaire et l'occasion de cet ouvrage non écrit par lequel Michelet devait donner le fil de sa vie et de ses livres autorisent peut-être à quelque autobiographie anniversaire. Ж у a juste vingt ans, sortant du concours d'agrégation, je rendais visite à mon bon maître Philippe van Tieghem, dont la maladie venait d'interrompre la confection d'un recueil d'extraits de l'œuvre de Michelet. Il me confia ces morceaux choisis aux trois quarts déjà faits en me disant : « Voulez-vous les compléter ? Je vais peut-être mourir et ça vous mettra le pied à l'étrier ». Bien entendu je n'avais à cette époque-là pas lu une seule ligne de Michelet et, fidèle sans le savoir à sa méthode, j'ai donc enseigné ce que je ne savais pas, ce qui est, et Paul Viallaneix le rappelait récemment en publiant l'admirable inédit de L'Arc1, le seul moyen d'enseigner vraiment. Ш était assez évident que ce petit livre incertain, donc sco- lairement parfaitement consommable, d'extraits, morceaux choisis, il fallait bien lui donner un sens, car l'école réclame un sens, et j'ai cru observer que toute l'œuvre de Michelet culminait en 1864 avec La Bible de l'Humanité, VHistoire à peu près finie, l'œuvre naturaliste presque entièrement faite. En 64, cette manière religieuse de reprendre l'histoire des religions contre toute religion, du moins contre toute celle qui règne depuis si longtemps, me paraissait une coda assez admirable. L'extraordinaire dans ce système d'héritage qui se passait entre Philippe van Tieghem et votre serviteur, c'est que je n'ai pas voulu voir ce qui suivait La Bible de l'Humanité, ce qui se passa après 1864, c'est-à-dire pour l'essentidl le livre sur l'éducation, le livre publié en 1869, presque en 1870, mais longtemps recherché dans toute la vie, celui que Michelet considéra comme son « livre le plus fort », à savoir Nos Fils.

On peut commencer à s'apercevoir que La Bible de l'Humanité n'est pas, n'était pas déjà, en 1864, pour Michelet, un sommet de son œuvre, mais bien au contraire, dans cette équivalence des inverses, ce qu'il appelle un entracte. C'est au 1er novembre 1864 dans une note : « Hier 31 octobre, mise en vente de la Bible. Je n'en continuai pas moins le triage des papiers ; peu à garder de ce qui précède l'élan de 43 contre le passé ; peu à garder de ce qui précède l'élan de 48 vers