La polémique dans YHeptaméron de Marguerite de Navarre : remarques sur quelques formes de l'argumentation ad personam
La vie du dialogue dépend en grande partie de la conviction avec laquelle les interlocuteurs défendent leurs idées et contredisent celles des autres. Ce principe de vraisemblance, qui implique que chaque locuteur mis en scène ait une opinion spécifique sur les sujets débattus, est défendu par les théoriciens du genre, comme Le Tasse, auteur du Discorso dell'arte ciel dia- logo, paru en 1585 :
Ma perché, come abbiam detto, il dialogo è imitazione del ragionamento, e'1 dialogo dialettico imitazione délia disputa, è necessario ch'i ragionanti e i disputanti abbiano qualche opinione délie cose disputate1.
Dans son De dialogo liber, paru en 1562, Carlo Sigonio précise que le dialoguiste doit imiter les propositions et les objections, de la façon la plus crédible possible :
Quando ergo sententia confirmationem potissimum ac refutationem amplec- titur, sane dubium non est quin, si eorum, qui conférant, sententiam expri- mere imitando velimus, eos aut ratione confirmantes quid aut labefacentes inducere debeamus2.
La réfutation impliquée ici, que Pierre Fabri définit comme une méthode où « en respondant l'en confute les argumens de son adversaire, ou en tout ou en partie »3, peut, comme la démonstration, tenir à l'efficacité logique du discours, au logos, ou bien être davantage orientée vers les personnes et leurs émotions, et impliquer alors les catégories de Yethos et du pathos4. Même lorsqu'elle est strictement logique, la réfutation a du reste pour effet de diminuer le prestige d'un locuteur et nuit nécessairement à
1. Le Tasse, Discorso dell'arte del dialogo, Prose. La letteratura italiana, n° 22, Milan, Napoli, Ricciardi, 1959, p. 341 : « Mais parce que, comme nous l'avons dit, le dialogue est une imitation de discours et le dialogue dialectique une imitation de dispute, il est nécessaire que les personnes qui parlent et soutiennent la dispute aient quelque opinion des choses disputées ».
2. Carlo Sigonio, De dialogo liber, Roma, Bulzoni, 1993, p. 212: « ...étant donné que la pensée embrasse surtout la démonstration et la réfutation, il n'y a pas de doute que celui qui se propose de représenter par l'imitation la pensée de personnes qui conversent ensemble, doit les représenter tandis qu'ils prouvent ou réfutent quelque chose de façon rationnelle ».
3. Pierre Fabri, Le Grand et Vrai Art de pleine rhétorique, Genève, Slatkine reprints, 1969, 108.
4. Voir Aristote, Rhétorique, I, III, Paris, Le livre de poche, 1991, p. 83.
