Critique philosophique de la religion et dogmatique évangélique
La critique philosophique de la religion est un fait. Elle est aussi ancienne que la philosophie elle-même. Il serait donc vain de la nier. Elle exerce une influence sur la théologie, ses méthodes, ses objectifs. Est-ce en bien, est-ce en mal ? Avant de répondre, il convient de situer la critique philosophique de la religion dans la recherche théologique contemporaine.
La critique philosophique de la religion s'impose pour trois raisons :
Raison historique : les travaux d'exégèse, les recherches sur les origines du christianisme et les études sur son développement modifient la définition de la théologie. Ils la confirment dans son historicité et la soustrayent au vertige de la spéculation. Grâce à eux, la conscience «historienne » du théologien s'intensifie et se nuance ; le passé se manifeste à elle comme une étoffe toujours plus serrée. Le discours du théologien est d'autant plus attentif au passé qu'il envisage l'avenir de l'Eglise. L'attente du Christ se consolide dans une meilleure mémoire de son œuvre passée.
Le développement de la conscience «historienne » présente un danger : l'oubli du présent, l'escamotage de l'actuel et le refus du souci au profit du passé. L'attrait de l'histoire finit par tuer l'urgence de l'action.
La conscience «historique » tourne la conscience «histo¬ rienne » vers le «maintenant» et 1'«aujourd'hui ». Elle la pré¬ serve de l'évasion en l'engageant. La conscience «historique » déchiffre le passé en fonction du présent pour préparer le futur. Le théologien recueille l'héritage de l'histoire de l'Eglise. Mais s'il s'enferme dans son discours, dans son «logos », s'il ne vise pas une action renouvelante, une «praxis », ne trahit-il pas l'histoire ? Hegel et Kierkegaard, Marx et Nietzsche, chacun à leur manière, le questionnent et l'accusent par leur critique du christianisme 4.
Raison méthodologique : la critique littéraire et historique de la Bible, de ses commentaires patristiques, médiévaux et modernes s'est diversifiée et précisée grâce aux progrès de la linguistique,
ι J'emprunte la distinction entre modalité historienne et modalité histo¬ rique de l'acte de conscience à P. Thévenaz qui la tenait des phénoménologues (cf. Evénement et historicité, L'historicité de la raison, in : L'homme et sa raison, tome II, Neuchâtel, 1956). Je l'applique à la théologie de l'histoire dans Evénement chrétien et théologie de l'histoire, Revue de théologie et de philo¬ sophie, 1963, p. 138 ss.
