Figures combinées de la ville et de la montagne
Réflexion sur les catégories
de la connaissance géographique
Bernard Debarbieux Université J. Fourier, Grenoble I, LAMA-TEO 5038, Institut de Géographie Alpine, 17 rue M. Gignoux - F38031 Grenoble cedex
o.
n trouve à la National Gallery de Washington deux tableaux, attribués au peintre siennois Sassetta ou à l'un de ses élèves, probablement réalisés autour de 1440. De l'avis des conservateurs du musée, ces tableaux faisaient partie d'un polyptique composé de plusieurs panneaux, tous consacrés à saint Antoine dit « le Grand » (env. 251 - 356), natif de Haute Egypte, fondateur des premiers monastères. Chacun de ces panneaux relatait un épisode de la vie du saint en plaçant le personnage dans un cadre paysager approprié. Le premier des deux tableaux (ill. 1) reproduits ici est intitulé « saint Antoine distribuant sa richesse aux pauvres » ; le saint se trouve au pied de la façade d'une belle maison patricienne probablement empruntée à la Sienne de la Renaissance1. Le second tableau est intitulé la « rencontre de Saint Antoine et Saint Paul » (ill. 2). Il représente un thème fort classique dans la peinture médiévale : le moine égyptien rend visite à saint Paul Ermite, doyen des anachorètes de Thébaïde. La scène se déroule dans un « désert », représenté sous la forme d'un paysage sauvage, moins aride que montagnard. Pour composer la scène, le peintre semble avoir joué avec des effets de contraste topographique et végétal. Saint Antoine et saint Paul se donnent l'accolade devant une grotte béante.
La ville et la montagne comme catégories cognitives et comme figures conventionnelles
Ces tableaux de Sassetta, tout intéressants qu'ils soient, ne sont pas considérés comme des œuvres majeures de la Renaissance italienne. Ils n'inaugurent aucun genre pictural, ni ne constituent une quelconque forme d'apothéose d'un genre existant2. Au contraire, rapprochés de quantité de tableaux de la Renaissance italienne qui ont traité de thèmes similaires, ils témoignent de l'adoption de motifs déjà très conventionnels : au paysage urbain qui symbolise le monde social et politique, le cadre de vie du commun des mor-
1. Il est possible que dans cet ensemble les figures des deux saints homonymes soient entremêlées. En effet, de nombreux historiens de l'art (voir notamment Duchet-Suchaux et Pastoureau, 1994) ont identifié de semblables cas de juxtaposition de scènes référant pour les unes à Saint Antoine de Padoue (1195-1231), compagnon de saint François d'Assise, pour les autres à saint Antoine Le Grand. Cette scène des rues de Sienne pourrait bien évoquer le franciscain plus que le second. 2. Remarquons toutefois, à la suite de E. Caru (1958), que Sassetta adopte très précocement dans sa représentation du paysage urbain quelques principes révolutionnaires introduits par des architectes de la Renaissance comme Brunelleschi.
REVUE DE GÉOGRAPHIE ALPINE 1999 №1
