Poe à la croisée des chemins réalisme et scepticisme
François Brunet
Université Paris VII - Denis Diderot
Selon une formule célèbre que Poe emprunte à Coleridge dans la «Lettre à B. » (1831), «un poème [. . .] s'oppose à une œuvre scientifique en ce qu'il a pour objet immédiat le plaisir et non la vérité». Cette opposition reflète un partage, ou à tout le moins une tension qui sous-tend l'œuvre de Poe. D'un côté, comme le montre une importante tradition critique - ainsi, en France, que l'adoption baudelairienne de Poe - il est tentant de lire en filigrane de cette opposition une condamnation, d'essence romantique, de la rationalité scientifique moderne, contre laquelle l'auteur de «La lettre volée» aurait voulu réhabiliter le pouvoir de l'imagination, au point de faire figure, pour commentateurs, de champion de l'occultisme '. A l'appui de cette thèse, on peut citer, par exemple, outre les histoires généralement cataloguées sous l'étiquette «occulte» (comme «Mesmeric Revelation» ou «The Facts in the Case of M. Valdemar»), un des derniers contes publiés de Poe, «Mellonta Tauta» (1849), où une narratrice embarquée à bord d'un ballon en l'an 2048 moque les misérables progrès techniques du xixe siècle, non sans railler au préalable une épistémologie qui ne reconnaît que deux modes d'accès à la vérité, l'un déductif ou aristotélicien, l'autre inductif ou baconien, sans rendre
44 N° 71 JANVIER 1997