77
Revue Européenne
des Migrations Internationales
Volume 7 - N° 3
1991
Les travailleurs musulmans à Renault-Billancourt : le repli
Xavier BOUGAREL et Philippe DIALLO
En 1986, dans le cadre d'une enquête du CNRS sur les OS dans l'industrie automobile, les travaux de J. Barou et M. Diop avaient permis de mieux cerner — à partir de l'exemple de l'usine de Renault-Billancourt — la réalité et les fonctions de l'islam pour les travailleurs immigrés de l'industrie automo- bile('). Quatre ans plus tard, il nous a semblé intéressant d'étudier les éventuelles transformations qu'a pu connaître cet islam dans l'entreprise, confronté à un environnement considérablement différent. Notre propre enquête s'est basée essentiellement sur une série d'entretiens, quantitativement restreinte (quinze entretiens) mais à travers laquelle nous avons tenté de prendre en compte les différents clivages pertinents pour notre recherche (Français/ immigrés, pratiquants/ non-pratiquants, syndiqués/ non-syndiqués, ouvriers/ agents de maîtrise, etc.). Malgré ces limites, il nous paraît possible d'esquisser les évolutions essentielles de l'islam dans l'usine de Renault-Billancourt et, sur cette base, de reconsidérer certains aspects de ce phénomène religieux dans l'industrie automobile au cours de la première moitié des années 1980(2).
La fermeture du site en perspective
L'enquête du CNRS avait été réalisée à l'issue d'une période de forte conflic- tualité dans l'industrie automobile, marquée en particulier par le « printemps de la dignité » en 1982 dans les usines de Talbot-Poissy et de Citroën- Aulnay. L'usine de Renault-Billancourt elle-même a connu, entre 1983 et 1985, des mouvements de grève durs et répétés, dont la presse s'est fait l'écho en les plaçant sous le signe de l'« intégrisme musulman ». Depuis 1986 par contre, les conflits se sont faits plus rares et la seule grève importante qu'ait connue l'usine de Renault-Billancourt en avril 1990, liée aux modalités de la fermeture du site, s'est caractérisée par un calme et une discrétion inhabituels.