Sur un renouvel¬ lement radical et
récent des études esthétiques
Lucien Brunelle
Il en va de la création artistique comme du jeu. Toutes les systématisations théoriques qu'on en donne séduisent quelque temps, puis, dépassées par la créa¬ tivité même qu'elles s'efforçaient d'expliquer, elles laissent à nou¬ veau place au mystère. Le renou¬ vellement de notre culture, sa fécondation par le développement des sciences humaines ce dernier demi-siècle, nous devaient une nouvelle tentative. La voici, cou¬ ronnée d'un succès durable, avec l'ouvrage d'Olivier Revault d'Al-lonnes : La création artistique et les promesses de la Liberté. (1).
Une réflexion qui prend appui sur le commentaire d'un Chagall, la Création, refuse en effet l'alter¬ native désormais classique entre deux réductionnismes : l'idéaliste qui donne pour mère à la créa¬ tion, je ne sais quelle «inspira¬ tion » ; le matérialiste, pour qui tout artiste n'est jamais qu'un «lieutenant du sujet social univer¬ sel » : «... les anges de Chagall ont des ailes pour aller vers l'accom¬ plissement, et les hommes n'en ont point. Tout le propos de cet ouvrage est de se demander, pour la création artistique, ce que les hommes utilisent à la place de ces ailes qui leur font défaut.
Cette interrogation permanente nous conduira d'abord à une mise au point méthodologique, qui tend à justifier contre certains courants de l'esthétique contem¬ poraine l'étude de la création chez
l'artiste lui-même, et chez l'artiste individuel (2). Il faudra du même coup préciser les conditions pour que l'esthétique, tout en restant strictement intelligible c'est à dire critique et rationnelle, dépasse le stade de la collection historienne des faits » .
Le lecteur fidèle de Raison Présente reconnaîtra sans peine dans cette déclaration d'intention le manifeste permanent de notre revue : humanisme concret s'inté-ressant aux hommes plutôt qu'à l'Homme abstrait, elle cherche à expliquer tout ce qui est de l'ordre de l'humain, y compris tout ce qui dans ses conduites peut manifester une sorte de déni de l'homme ou de défi à l'homme. C'est donc une remarquable illus¬ tration du rationalisme militant qui nous est ici offerte dans un domaine trop longtemps aban¬ donné aux réflexions «désenga¬ gées » :
«On peut..., dit Revault d'Al-lonnes, attendre de l'esthétique ainsi comprise l'ébauche d'une éthique, qui déborde largement le domaine de l'art. Toute société fonctionne et se maintient par un terrorisme qui présente ses institu¬ tions, ses mœurs, ses valeurs, comme uniques ou supérieures, nécessaires, immuables ; qui défi¬ nit la vie par des règles hors desquelles il n'y a que chaos et néant. Or, la leçon irremplaçable de la création artistique est de montrer qu'à tout moment il a été
(1) Klincksieck, 1973.
(2) C'est nous qui soulignons.
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