PRATIQUES no 38, Juin 1983

ENSEIGNER LA LITTERATURE ?

On se rappelle la réflexion de Roland Barthes lors du colloque de Cerisy de 1 969 consacré à l'enseignement de la littérature (1):

<( ...nous autres. Français, nousavonstoujoursétéhabituésàassimilerla littérature à l'histoire de la littérature. L'histoire de la littérature, c'est un objet essentiellement scolaire, qui n'existe précisément que par son enseignement; en sorte que le titre de cette décade : < l'enseignement de la littérature > est pour moi presque tautologique. La littérature, c'est ce qui s'enseigne, un point c'est tout. »

La boutade vaut ce que valent les paradoxes, aussi brillants soient-ils. Elle a pourtant le mérite de mettre en cause le caractère d'évidence massive qui masque la plupart du temps l'absence de définition de ce phénomène aux multiples aspects qu'est la littérature.

La littérature s'enseigne. Nous sommes, je ne dirai pas bien, mais enfin tout de même payés pour le savoir. C'est comme ça. La littérature semble entretenir un tel rapport de consubstantiabilité avec l'enseignement que l'on finit par ne même plus éprouver le besoin de l'interroger en tant qu'objet spécifique. Or, pour des raisons historiques et sociales bien connues, la littérature, son enseignement et tout particulièrement ce qu'ils est convenu d'appeler l'histoire littéraire, après avoir connu une longue faveur et avoir exercé un quasi monopole dans le second cycle de l'enseignement français, sont entrés à leur tour dans «l'ère du soupçon». Au moment où l'enseignement de la littérature ne semble plus être une propriété pour l'école d'aujourd'hui, l'histoire littéraire se trouve du même coup soudain extraite de la naturalité qui fondait la légitimité de son discours et constitue un terrain privilégié d'affrontements et de clivages entre ceux qui la perpétuent, ceux qui l'ignorent et ceux qui tentent d'en renouveler l'approche et les finalités.

Il n'est pas question pour nous, on s'en doute, de répondre de façon définitive, ni même satisfaisante, à une question pourtant centrale qui dépasse de loin les cadres de l'esquisse que nous proposons de réaliser : qu'est-ce que la littérature ? La littérature représente en effet un phénomène esthétique, culturel et social dont il est particulièrement difficile de cerner avec netteté la spécificité. Le modèle classique véhiculé traditionnellement par l'école repose globalement sur la conception d'un patrimoine commun (commun à qui ?) de chefs d' œuvre créés par quelques grands écrivains qui tous nous ont parlé de l'Homme en partant des balbutiements du « moyen âge » pour parvenir à l'apogée du style et du goût français à « l'âge classique » avant de sombrer dans une lente dégénérescence dont il faut bien convenir que nous sommes malheureusement les fruits. Robert Escarpit note plaisamment à ce sujet (2) :