Extrême-Orient, Extrême-Occident 23 - 2001
Le droit coutumier
comme phénomène d'acculturation bureaucratique
au Japon et en Chine*
Jérôme Bourgon
IAO/CNRS
Qui traite de la coutume est tenté de se rapprocher du terrain, pour la saisir dans sa spécificité et de ralentir son pouls pour percevoir ce caractère « immémorial » qui entre dans sa définition même. L'Extrême-Orient sinisé invite pourtant à tenter une autre approche : l'apparition de la coutume y est inséparable de sa codification en « droit coutumier », le tout formant un processus récent et passager, qui a duré une cinquantaine d'années (1870-1930) pour disparaître ensuite complètement, non sans laisser derrière lui une brillante queue de comète historiographique dont les feux nous éblouissent encore. Loin d'être local, le phénomène eut d'emblée une dimension nationale, voire internationale, partie prenante qu'il fut de la mutation en États-Nations de pays qui appartenaient à un vaste ensemble, le monde sinisé, jusque-là régi par d'autres rapports institutionnels K Des quatre nations modernes qui sont issues de ce monde sinisé - Chine, Japon, Corée, Vietnam -, nous ne traiterons que des deux premières, qui ont vécu l'aventure du droit coutumier en étroite symbiose. Dans ces deux pays, la coutume prit naissance et consistance dans des classeurs de bureaux, des questionnaires d'enquêteurs et des rapports d'experts bien plus que dans la tradition des terroirs, l'histoire des peuples ou les archives locales. La coutume y apparaît comme un genre de la littérature bureaucratique produite par l'État modernisa- teur, qui lui a assigné pour un temps une fonction précise : acclimater une nouvelle culture étatique. Nous nous proposons donc de l'étudier comme un phénomène d'acculturation des élites bureaucratiques du Japon et de la Chine.
Mais n'est-ce pas là confondre les pratiques populaires héritées de l'histoire avec le discours que des États ont été conduits à mener à leur propos, ou avec les artifices qu'ils ont créés pour remplacer des coutumes préexistantes ? Ce pourrait être une querelle de mots : nul ne disconvient qu'une infinie variété d'usages ont pu être observés en Chine ou au Japon comme ailleurs - certains
