Extrême-Orient, Extrême-Occident 23 - 2001 Quelles normes pour les Chinois musulmans (Hui) 1 ?
Elisabeth Allés
Chargée de Recherche au CNRS
Lorsqu'un(e) ethnologue étudie l' organisation sociale d'un groupe, de quelque importance qu'il soit, en milieu urbain ou rural, il doit en comprendre les normes c'est-à-dire les lois en vigueur, les règles écrites ou non, les usages. Il lui faut appréhender les différents niveaux de normes afin d'en dégager les interactions, de repérer les contradictions et les distances qui les séparent. Comme le remarquait l'ethnologue Germaine Tillion : « [C'est] un bon moyen de gagner l'intimité d'une civilisation que de comparer les mœurs réelles d'une société avec les prescriptions de sa morale et de sa religion, puis de mesurer la fissure entre les deux 2 ».
L'étude des pratiques sociales des Chinois musulmans, constituant la nationalité Hui, est de ce point de vue très éclairante, car les individus sont confrontés à trois références : la loi chinoise, les usages de la société environnante et les règles musulmanes (c'est-à-dire le Coran, la Sunna et la jurisprudence de l'école juridique hanéfite3).
De fait, en Chine comme ailleurs, la norme locale est le résultat d'un assemblage opéré par les individus et les groupes selon des schémas qui leur sont propres. Par exemple, la pratique de la circoncision, en vigueur dans la plupart des pays musulmans et qui représente pour l'enfant un signe fort d'entrée dans la Communauté des croyants (Yumma), a été, selon les régions et les époques, diversement appliquée en Chine. Plus éloquent encore, l'héritage des filles : since point, le Coran est extrêmement précis : il donne un droit d'héritage d'une demi-part aux filles (sourate IV : versets 7 et 11)4. La prescription coranique est claire cependant les jurisprudences élaborées dans le monde musulman s'en sont très fortement éloignées. Pour les Chinoises musulmanes, il en a été de même avec la contrainte supplémentaire de la réglementation chinoise qui ne permettait pas aux femmes d'hériter de biens fonciers.
Nous aborderons dans cet article, la question du rapport entre les règles, écrites ou non, et les usages à partir de deux exemples : le premier, dans le
