Pages « Politique »

« La lettre volée » d'Edgar Pœ peut-elle inspirer un travail sociologique ? La trame du récit est connue : le préfet de police se navre de ne pouvoir, malgré les fouilles de ses limiers, récupérer une lettre compromettante, subtilisée par un ministre. La ruse du voleur aura consisté à placer la missive en un lieu si visible que les investigations l'auront délaissé puisqu'il n'est de cachette qu'invisible. Terrain d'investigation valorisé par l'air du temps, la communication semblera aussi intensément fouillée que l'hôtel du ministre indélicat. Chercheurs en sciences sociales, consultants et praticiens, mais aussi prophètes et gourous rivalisent dans la production de discours, inégalement éclairants, sur cet univers de pratiques et de représentations.

Et cependant ce piétinement, plus générateur de dégâts que de trouvailles, peut laisser des friches ou des objets intacts. Tel est le cas de pans entiers de l'activité journalistique. L'orientation des travaux suggère en effet un phénomène de boite noire. Attentive à la construction des événements, aux conditions d'exercice de la profession journalistique, la recherche sur les médias semble souvent considérer sa tâche comme accomplie dès l'instant où le travail du journaliste s'incarne en un « papier », un « sujet ». Les articles sur la politique que les chercheurs trouvent dans leur quotidien se voient assignés au statut de réservoir de données factuelles ou d'outil pour objectiver la réussite d'une stratégie de visibilité médiatique. La question de leurs formes, des conditions sociales d'existence et des enjeux de ces formes, se trouve dès lors renvoyée au domaine de Г impensé. Sans doute faut-il ne pas durcir le trait. Des travaux pionniers et stimulants existent, tels ceux d'Eliséo