CHRONIQUE
La mort du président Modernité et nostalgie française
Eric Thiers
Après avoir voté contre la Constitution du 4 octobre 1958, après l'avoir combattue avec virulence et ténacité, après avoir vilipendé avec une rare dureté son fondateur dans un célèbre pamphlet, François Mitterrand a incarné pendant quatorze années la fonction présidentielle. En toutes circonstances, il a assuré à cette institution la primauté que Charles de Gaulle voulait pour elle. De fait, et malgré les apparences, la mort de François Mitterrand en janvier 1996 est avant tout celle d'un président de la République. « Truisme », serait-on tenté de nous opposer. Sans doute. Pourtant il est utile de rappeler cette évidence tant les projecteurs se sont braqués sur la vie privée de l'homme du 10 Mai, laissant dans l'ombre sa pratique institutionnelle. On s'est intéressé à Mitterrand en tant qu'homme parce qu'il était président mais s'est-on suffisamment interrogé sur ce qu'il a pu apporter à la fonction présidentielle au cours de ses deux septennats ?
La mort de François Mitterrand clôt une époque qui présente une certaine cohérence. Il ne s'agit pas seulement du terme d'une période mais elle est aussi un événement qui est en soi signifiant. Parce qu'elle place la communauté politique face à elle-même, cette situation limite, au sens conféré à ce terme par Karl Jaspers l, peut révéler certaines des structures profondes de notre société qui n'affleurent que dans quelques
1. Karl Jaspers, Introduction à la philosophie, Paris, Pion, 1965, p. 20-21.
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