42
Matériaux pour l'histoire de notre temps, n° 54 (avril-juin ¡999)
Pour une histoire officieuse
des « disparitions » en Amérique latine
La lutte contre le communisme laisse en Amérique latine un héritage particulier en la figure du « disparu », c'est-à-dire celui qui a été arrêté par des policiers ou des militaires, et n'a plus été vu. Le vocabulaire qui désigne cette forme de violence varie selon les pays : on parle quelquefois de disparition définitive, de détention-disparition, de disparition forcée, ou tout simplement de disparition. Mais, dans tous les cas, le scénario est sensiblement le même : « ... des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées contre leur volonté ou privées de leur liberté d'une autre manière par des agents de différents secteurs ou niveaux d'un gouvernement ou par des groupes organisés ou par des individus agissant pour le compte de ou avec le
soutien, direct ou indirect, le consentement ou l'assentiment du gouvernement, situation suivie par un refus de révéler le sort et le lieu où se trouvent les personnes concernées ou un refus de reconnaître la privation de leur liberté, plaçant ainsi de telles personnes en dehors de la protection de la loi 1 ». Depuis 1992, cette déclaration onusienne a vocation à prévenir les gouvernements contre un crime non codifié, invisible et longtemps innommable, qui a fait en l'espace de trente ans, sur l'ensemble du territoire latino-américain, plus de 90 000 victimes 2. Notre objectif n'est pas de dresser la carte des disparitions, ni d'établir une typologie des situations, toujours complexes, où l'on a eu recours à cette méthode, mais de fournir quelques repères qui
1. Cité in Amnesty International (coll.), Les Disparitions, Paris, Babel, 1994,
p. 17, « Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées », adoptée sans vote par l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations unies le 18 décembre 1992.
2. Chiffre avancé par la FEDEFAM (Fédération latino-américaine des familles de disparus), 1987 II est extrêmement difficile de procéder au décompte de ce chiffre par pays car les différentes associations ne s'accordent pas sur leurs estimations. Ainsi, en Argentine, le chiffre établi par la CONADEP (commission nationale chargée d'enquêter sur la disparition de personnes entre 1976 et 1983) est d'environ
10 000 personnes, alors que les Mères de la place de Mai avancent le chiffre de 30 000. Au Guatemala, les rapports d'Amnesty International (1996) avancent le chiffre de 45 000 victimes depuis le début des années 1960 à aujourd'hui. Au Chili, le chiffre officiel donné par la Commission nationale de vérité et de réconciliation est de 1 102 victimes pour la période de 1973-1989.
Peinture murale, quartier La Victoria, Santiago du Chili, contre la répression, photo Hugo Cabello, exposition BDIC 1992.