Pratiques, spectacles sportifs et mise en scène de la performance : l’exemple du football français dans l’entre-deux-guerres (1906-1932)

Si le début du xxie siècle peut correspondre à un «nouvel âge du sport 1 » , il faut admettre que ce dernier ne peut plus faire l’économie de ce paradigme structurant qu’est la performance, au point qu’elle devienne une sorte de «lieu commun » des pratiques et du spectacle sportifs contemporains. Synonyme de dépassement et d’effort physique, sous-tendue par la compétition et rendue visible par le culte du record, la performance sportive constitue paradoxalement un «angle mort 2 » de la recherche historique, alors qu’elle sature littéralement l’espace des sports au point de le gouverner : chaque fin de saison des championnats de France professionnels de Ligue 1 et de Ligue 2 voit les meilleures équipes lutter pour décrocher un titre ou un rang leur permettant de disputer les championnats européens (avec la manne financière que cela suppose), tandis que les moins performantes sont condamnées à la relégation. Le «mercato » des joueurs et entraîneurs, y compris au niveau des clubs amateurs, est largement fondé sur la mesure des performances réalisées au cours de l’année. Désormais exposés médiatiquement, les arbitres fédéraux de football subissent également les affres de la rétrogradation ou les joies de la promotion, en fonction de critères liés à la performance. C’est dire combien le football peut constituer un indicateur pertinent, dès lors qu’il s’agit d’observer, dans l’entre-deux-guerres, comment la performance s’est profondément instillée, puis installée dans les moindres replis du football-association, avant qu’il ne bascule dans le professionnalisme en 1932. Encore convient-il de considérer que la performance, écartant ici son sens étymologique 3, puisse être ici définie selon une double acception : un aspect strictement sportif, qui renvoie précisément aux conséquences de l’introduction précoce des compétitions dans le football-association, dès la fin du xixe (hiérarchisation des championnats, classements et palmarès), et ses conséquences, dans un registre plus «athlétique » , sur des joueurs, des entraîneurs et des dirigeants progressivement soumis à une obligation de résultats. Ceci a pour effet de profondément transformer les conditions de jeu du football, ainsi que son environnement au lendemain de la Première Guerre mondiale (débauchage des joueurs, évolution des schémas tactiques, rationalisation des entraînements, etc.). En l’absence de toute compétition nationale d’envergure avant 1932, il conviendra de lire ces deux moments particuliers en privilégiant une approche plus «monographique » , dont Nicolas Offenstadt rappelle qu’elle demeure encore aujourd’hui «la voie ordinaire de progrès dans la discipline 4 » .

De l’instillation de la performance sportive avant-guerre…

À la veille de la Première Guerre mondiale, les conditions d’implantation et les modes de pratique du football-association en France ne sont guère propices à l’inscription d’une quelconque forme de performance. À la différence de l’Angleterre (forte de 300 000 licenciés en 1910, conséquence du développement précoce du professionnalisme), le football hexagonal demeure profondément élitiste et confidentiel 5 : appartenant aux couches aisées de la bourgeoisie urbaine, joueurs et dirigeants le considèrent autant comme un espace récréatif et distinctif que comme un lieu d’émulation entre pairs,

Les Cahiers de l''Insep n° 46 ▐ Histoire (s) de la performance du sportif de haut ni veau 47