Plan

Chargement...
Couverture collection

Futur et conditionnel de conjecture dans Le Rouge et le Noir

[article]

Année 2013 139 pp. 13-17
doc-ctrl/global/pdfdoc-ctrl/global/pdf
doc-ctrl/global/textdoc-ctrl/global/textdoc-ctrl/global/imagedoc-ctrl/global/imagedoc-ctrl/global/zoom-indoc-ctrl/global/zoom-indoc-ctrl/global/zoom-outdoc-ctrl/global/zoom-outdoc-ctrl/global/bookmarkdoc-ctrl/global/bookmarkdoc-ctrl/global/resetdoc-ctrl/global/reset
doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw
Page 13

L’Information grammaticale n° 139, octobre 2013 13 FUTUR ET CONDITIONNEL DE CONJECTURE DANS LE ROUGE ET LE NOIR

Jacques BRES

Dans Le Rouge et le noir, Stendhal use assez fréquemment du futur (simple (1) et antérieur (2)) et du conditionnel (présent (3) et passé (4)) dits de conjecture :

(1) Ce coquin ne m’a pourtant pas dit le nom de la personne qui fait l’offre ! Ce sera M. Valenod qui voit dans mon exil à Verrières l’effet de sa lettre anonyme. (p. 209) (2) Elle [ Elisa] dit que si sa maîtresse le lui permettait, elle lui conterait tout son malheur. – Dites, répondit Mme de Rênal. – Eh bien, Madame, il me refuse ; des méchants lui auront dit du mal de moi. (p. 99) (3) Bientôt, voyant que cet unique regard ne se répétait pas, elle fut alarmée : «Est-ce qu’il ne m’aimerait plus, se dit-elle ; hélas ! je suis bien vieille pour lui ; » (p. 149) (4) «Tu n’as pas voulu me recevoir cette nuit ? Il est des moments où je crois n’avoir jamais lu jusqu’au fond de ton âme. […] Ne

m’aurais-tu jamais aimé ? […] Ne m’aimes-tu pas ? » (p. 187)

Nous avons pu relever, dans le livre premier qui fait l’objet de cette étude (édition folio classique, p. 45-319), 3 occurrences de futur simple, 7 de futur antérieur, 6 de conditionnel présent et 4 de conditionnel passé. Soit donc un total relativement élevé de 20 occ. Nous décrirons cet effet de sens (section 1), puis analyserons sa production (section 2).

1. Description de l’effet de sens de conjecture

Dans ces occurrences, le futur et le conditionnel semblent réaliser non leur valeur temporelle typique d’ultérieur du présent pour le premier, d’ultérieur dans le passé pour le second (infra 2.1), mais la valeur modale dite de conjecture,

entendue comme «hypothèse vraisemblable » (Damourette et Pichon 1911/ 1936 : 388), qui relève de la modalité épistémique (marquage du degré d’engagement du locuteur quant à la factualité du procès : possible, probable, certain, etc.). C’est particulièrement manifeste pour le futur :

sera en (1) et auront dit en (2) inscrivent les procès qu’ils actualisent non dans l’époque future, mais dans l’époque présente pour le premier, et dans l’époque passée pour le second. Ce que teste le fait que, pour ce qui est de la seule localisation temporelle des événements, le futur simple est remplaçable par le présent (1a) ; et le futur antérieur, par le passé composé (2a) :

(1a) Ce sera M. Valenod > c’est M. Valenod (2a) des méchants lui auront dit du mal de moi > des méchants lui ont dit du mal de moi

Cette équivalence approximative est également possible avec le conditionnel :

(3a) Est-ce qu’il ne m’aimerait plus ? > Est-ce qu’il ne m’aime plus ? (4a) Ne m’aurais-tu jamais aimé ? > Ne m’as-tu jamais aimé ?

Différentes explications ont été proposées pour rendre compte du fonctionnement spécifique de ces temps verbaux dans ce tour (i. a. Damourette et Pichon 1911-1936, Martin 1987, Dendale 2010), qui, quelque pertinentes qu’elles soient, nous semblent en partie sujettes à caution dans la mesure où elles imputent la production du sens de conjecture au futur ou au conditionnel, alors que, selon l’hypothèse que nous allons développer, ce qui est conjectural, c’est l’énoncé lui-même dans son fonctionnement contextuel, ces temps n’étant que des ingrédients facultatifs dudit effet de sens. Textuellement, l’énoncé conjectural se trouve dans le discours direct d’un personnage, qu’il s’agisse d’une pensée en monologue intérieur (1, 3, 4), ou d’un tour de parole dans un dialogue (2) 1. D’un point de vue argumentatif, cet énoncé fait suite à la mention ou à la narration d’un fait notable, le plus souvent surprenant pour le personnage, ce qui l’incite à en chercher une explication plausible ((2), (3), (4)) ; à identifier l’actant de ce fait notable (1), à le catégoriser (5) ; ou à produire une inférence (6) :

(5) Que peut signifier ceci ? pensa-t-il. Est-ce une cérémonie préparatoire qu’accomplit ce jeune prêtre ? C’est peut-être le secrétaire de l’évêque… il sera insolent comme les laquais… (p. 168) (6) [ Mme de Rênal] – Où est la femme de la société à laquelle il n’a pas adressé quelques lettres […] un peu galantes ? [ M. de Rênal] – Il vous aurait écrit ? – Il écrit beaucoup. (p. 200)

Pour ne commenter que (6) : la mention, par Mme de Rênal, de l’intense activité scripturale de Valenod en direction des femmes (fait notable) suscite par inférence la conjecture du mari jaloux : Valenod a peut-être écrit à sa femme.

1. On trouve également, bien que rarement (une seule occ. relevée), le discours indirect libre : (9) Julien qui entendit du bruit dans le corridor souffla sa lampe à l’instant. On faisait des efforts pour ouvrir sa porte ; était-ce Mme de Rênal, était-ce un mari jaloux ? (p. 186)

doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw
doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw
doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw
doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw