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Cette guerre si semblable à l'autre

[article]

Année 1999 80 pp. 26-29
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CETTE GUERRE SI SEMBLABLE À L'AUTRE...

Catherine DETRIE

La lettre 1 53 des Liaisons dangereuses présente deux volets, le second étant réduit à ces quelques mots écrits par la marquise en réponse à l'ultimatum de Valmont : « Hé bien ! la guerre ». Ainsi, si la conquête de la femme est perçue par Valmont comme relevant d'une stratégie guerrière (l'analogie avec TurenneO) en dit long), ses relations avec la marquise n'échappent pas à cette métaphorisation. Notre hypothèse de travail est que non seulement la conceptualisation métaphorique de la relation à l'autre sexe en termes de guerre traverse tout le texte, mais encore qu'elle le structure, lui donne sa cohérence. Notre but est de mettre en évidence la façon dont le concept métaphorique de guerre sous-tend Les Liaisons, imposant une mise en forme spécifique du réel perçu, tant au niveau microstructurel que macrostructurel. On ne proposera donc pas une analyse ponctuelle de telle ou telle métaphore, on cherchera plutôt à construire des hypothèses explicatives du processus métaphorique global. Pour ce faire, on s'appuiera sur les travaux de Lakoff et Johnson (85), pour qui « l'essence d'une métaphore est qu'elle permet de comprendre quelque chose (et d'en faire l'expérience) en termes de quelque chose d'autre » (85 :1 5), et sur ceux de la praxématique (2), pour laquelle le processus de nomination « a pour soubassement une collecte de réalités sensibles et d'expérience de l'agir » (Lafont, 78 : 68), le mot - le praxème - étant « un outil social de la production de sens déplaçable d'une situation à une autre » (Lafont, 78 : 84), prenant en charge l'expérience pratique du réel du sujet parlant, son rapport praxique au monde.

Le concept métaphorique de guerre pour évoquer les relations sentimentales ou sexuelles est en soi banal. Il a été constamment utilisé dans la poésie précieuse, qui en a fait une stéréotypie discursive, il est de mise dans maints discours amoureux. Mais il nous semble que dans Les Liaisons dangereuses, Laclos sollicite méthodiquement cette métaphore, la conceptualisation métaphorique se révélant non seulement l'élément organisateur de la diégèse, mais encore le matériau même de cette diégèse : Les Liaisons, bien plus que l'évolution des relations entre Danceny et Cécile, Valmont et la présidente, Valmont et la marquise, ou Valmont et Cécile, raconte la mise en acte de l'art de la guerre, la stratégie guerrière appliquée à l'autre sexe.

1 Lettre 1 25

1 Lettre 1 25

2 Cf le numéro 77 (mars 98) de L'Information grammaticale, consacré à la praxématique.

1. Les mots de la guerre

Le motif de la guerre semble structurer les relations interpersonnelles, explicitement entre Valmont et la marquise (« Hé bien ! la guerre ») ou plus implicitement, la séduction de la présidente étant envisagée en termes de stratégie militaire. C'est aussi plus généralement une manière d'envisager et de structurer les relations amoureuses ou le rapport homme /femme.

1.1. La guerre

On s'intéressera d'abord au mot lui-même. Sur les 6 occurrences du texte, une seule actualise le sens de « conflit entre des états ou des groupes humains » : ce réglage du terme est le fait de Mme de Volanges évoquant le soulèvement corse suscité par Pascal Paoli après l'annexion de la Corse à la France, en 1768. Tous les autres réglages (excepté le tour lexicalisé de guerre lasse, sollicité lui aussi par Mme de Volanges) renvoient à une relation privée conflictuelle. Trois occurrences sont le fait de Valmont (3) :

Mes lettres mêmes sont le sujet d'une petite guerre : non contente de n'y pas répondre, elle refuse de les recevoir (L34 (4))

Vous verrez que je ne me suis écarté en rien des vrais principes de cette guerre, que nous avons remarqué souvent être si semblable à l'autre (L125)t

J'ajoute que le moindre obstacle mis de votre part sera pris de la mienne pour une véritable déclaration de guerre (L153).

La dernière occurrence est le fait de Mme de Merteuil qui reprend le mot de Valmont, sa profération réalisant l'acte d'être en guerre : « Hé bien ! la guerre », au bas de la même lettre 153. Plus généralement, toute relation à l'autre sexe, qu'il s'agisse de l'ami(e) ou de Pamant(e) est conceptualisée métaphoriquement en termes de guerre.

Il ne s'agit pas d'une métaphore vive, le processus s'ap- puyant sur des expressions banales, quotidiennes, par exemple conquérir quelqu'un, résister, se défendre, céder, etc., et dont la spécificité est de manifester explicitement un mode de relation à l'autre en termes de rapports de force. La métaphorisation est d'ailleurs rendue possible par un premier glissement, enregistré dans les dictionnaires : « lutte entre des personnes, hostilité », où on passe d'un conflit

3. Dans les citations, la mise en relief par l'italique du mot étudié est de ma responsabilité.

4. On abrégera le mot lettre sous la forme d'un L majuscule, suivi du numéro en chiffres arabes de la lettre en question.

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L'Information grammaticale n° 80, janvier 1999

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