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Le français à la Renaissance

[article]

Année 1997 74 pp. 3-4
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LE FRANÇAIS À LA RENAISSANCE

Mireille HUCHON

Plurilinguisme, formalisation de la réflexion linguistique, quête d'une norme que l'on n'hésite pas à inventer, les spécificités de la langue du xvie siècle lui font occuper une place unique dans l'histoire du français.

Avec l'ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), qui impose le français comme langue juridique et administrative à l'exclusion du latin et des dialectes, le français gagne son statut de langue officielle, mais la France du xvie siècle reste plurilingue. Le français coexiste avec le latin, langue véhiculaire et langue d'enseignement, caractérisée par la diversité de ses formes et de ses prononciations, avec les parlers régionaux, langue maternelle et langue utilitaire, et, occasionnellement, avec l'italien, langue de culture ; les interférences entre ces langues affectent la prononciation, le lexique et la syntaxe du français. Le plurilinguisme marque aussi profondément la réflexion linguistique. Les premières grammaire du français se réfèrent à l'anglais (Palsgrave, 1530), au latin (Sylvius, 1531) et le premier dictionnaire du français, celui de Robert Estienne (1539), est un Dictionnaire Francoislatin contenant les motz et manières de parler Francois tournez en Latin. Le français est donc appréhendé dans une perspective de linguistique comparée où les langues sont fortement hiérarchisées, avec valorisation des langues anciennes et débat sur la précellence de l'une ou l'autre des langues vernaculaires. À la filiation latin/ italien, certains opposent une origine grecque du français, le « celthellénisme », fondé sur le mythe de l'origine troyenne des Français, renforcé par les analogies que l'on décèle entre la langue grecque et le français. Dans l'imaginaire du xvie siècle, le français idéal se rêve dans un passé perdu que l'on réinvente ou dans un avenir glorieux où la langue atteindrait son âge d'or. Français idéal que l'exemple de Dante invite à fabriquer à partir des usages contemporains, tout comme, par ailleurs, ainsi que le montre ici Jacques Chomarat dans le tableau qu'il dresse du latin au xvie siècle, chaque humaniste se constituait à partir de ses lectures sa propre langue latine. Mais le français d'alors se pense aussi dans une perspective historique, avec un sentiment exacerbé de la mutabilité des choses du langage rendues méconnaissables par le poids des décennies. Ainsi, au début du xvne siècle, une somme lexicologique comme le Trésor de la langue française de Nicot ou les visées rétrospectives de l'Académie de l'art poétique de Deimier, prennent comme exemple d'archaïsme certains emplois de Marot que ses contemporains louaient pour sa parfaite imitation de l'usage commun.

La défense et illustration de la langue française, imposée par le pouvoir politique, par les nécessités économiques du développement de l'imprimerie, passe par la codification et la définition de la norme. Mais celle-ci, loin d'être un simple choix entre variables concomitantes guidé par le souci de se référer à l'usage le plus fréquent, est le lieu de recherches individuelles où se

manifestent le souci d'influer, par des prises de parti tranchées, sur la langue et sur son développement et le désir d'inventer ses propres variations susceptibles de devenir les éléments codifiés ; d'où un effet de brouillage pour le linguiste actuel qui n'a plus à sa disposition que des textes écrits parfois très artificiels et volontairement éloignés de l'usage commun, domaines de réalisations purement individuelles où domine l'artefact. La graphie marginale, l'hapax lexical sont souvent la création de la fantaisie de quelque plumitif, plutôt que les témoins égarés d'un usage plus ou moins partagé. De là, la difficulté de tenter de définir les caractéristiques d'une langue standard au xvie siècle ; alors qu'il faudrait retrouver les invariants, la langue du xvie siècle telle que la reflète l'image des manuels est une chimère composée des idiolectes de Marot, Rabelais, Montaigne, la Pléiade, comme si pour connaître la langue du xxe siècle on interrogeait Proust, Céline et Queneau. Rabelais et ses mots hippocentaures, Montaigne et son dictionnaire à part soi sont par exemple autant d'astres aberrants dans la reconstitution du lexique de leur époque. Mais toutes ces réalisations individuelles, qui ont contribué à faire croire la langue du xvie siècle beaucoup plus éloignée qu'elle ne l'est de l'usage moderne, sont aussi significatives : dans leur existence même, témoignage des virtualités limites de la langue pensées par le locuteur contemporain: dans leur disparition, signe de leur impossibilité d'adaptation aux systèmes linguistiques en vigueur (ainsi les infinitifs substantives à l'italienne qui ne sortiront guère de la prose poétique d'Hélisenne de Crenne ou de la syntaxe artificielle de Scève, ainsi, dans la langue de la Pléiade, les adjectifs composés avec thème verbal et complément, procédés traditionnels de formation des substantifs, inadéquats à la formation des adjectifs). Ce siècle, où la multiplicité de formulations des notions et la synonymie sont érigées en valeurs absolues, où l'attrait de la langue ancienne fait conserver ou retrouver des tours sortis de l'usage commun, où le prestige du latin privilégie les calques, se révèle un véritable laboratoire d'essai d'une langue dont le devenir se trouve confronté à des modèles et des influences divers. Domaine privilégié pour l'observation de la variation linguistique que ce temps où l'écrivain a une conscience aiguë de la littérarité (et des variations intralinguistiques) ; comme l'écrit Fouquelin dans sa Rhétorique françoise (1555) : « Car tout ainsi que des dictions, les unes sont propres, les autres transférées : ainsi du langage et manière de dire, l'une est simple et vulgaire, l'autre est figurée : c'est-à-dire un peu changée du commun et familier, qui s'offre premièrement, quand nous voulons deviser de quelque chose ».

C'est par l'étude des microsystèmes en morphologie et en syntaxe et de leurs interactions à partir de confrontations de textes littéraires et non littéraires que l'on peut restituer partiellement les divers codes linguistiques et les conditions de leur sélection. Pour cette époque où le sentiment des niveaux de

L'Information grammaticale n° 74, juin 1997

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