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Commentaire stylistique : La Fontaine, L'huître et les plaideurs, Livre IX, Fable 9

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Année 1992 52 pp. 6-9
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COMMENTAIRE STYLISTIQUE : LA FONTAINE L'HUÎTRE ET LES PLAIDEURS LIVRE IX, FABLE 9

Dominique JOUVE

La fable 9 du livre IX parut en 1671 avant d'entrer dans la composition du « deuxième recueil » en 1678. Par cette date et son sujet annoncé en I 21, elle fait partie des textes qui établissent un lien entre les deux recueils. Le thème en avait été traité par Boileau en 1669 dans sa première Epître. La Fontaine a eu certainement connaissance des vers de Boileau, et il a sans doute mis tout son talent pour damer le pion à ce rival. Ce n'est pas la première fois que s'exerce cette émulation: on connaît entre autres les trois versions de « La Mort et le Bûcheron ». C'est sous le signe d'une sorte de défi stylistique que va s'écrire L'huître et les plaideurs, dont on pense que l'anecdote était peut-être déjà passée en proverbe. L'enjeu du texte n'est pas la moralité, au demeurant banale, mais bien le sacre poétique, la « gloire ». L'étude se centrera sur les éléments les plus caractéristiques de cette joute formelle (sans prétendre faire une description complète du texte): la virtuosité prosodique, l'art de la narration, qui conserve une portée générale à l'anecdote tout en la particularisant fortement ; et l'humour narquois qui donne à cette fable vivacité et allégresse.

Les douze alexandrins en rimes plates de Boileau forment un bloc compact par rapport aux 25 vers de La Fontaine, qui sont formés de « vers mêlés ». L'ensemble dessine trois quatrains à rimes croisées, 3 distiques de rimes plates, un quintil à rimes embrassées (sur le schéma abbaa, cette disposition appartient au système des rimes dites mêlées), un distique en rimes plates et un quatrain en rimes croisées. C'est une organisation savante : les quatrains de rimes croisées conviennent par leur dynamisme à l'amorce du récit ainsi qu'à la conclusion, dominée par des injonctions. Les rimes plates, moins apprêtées, correspondent au plus vif de la dispute entre les plaideurs, mais également à l'arrêt du juge : le parallélisme des rimes se doublera de répétitions et d'allitérations. En revanche le quintil de rimes embrassées, avec sa reprise de la première rime au cinquième vers, est réservé aux actions du juge : lourdeur, pompe, cérémonial sont ainsi suggérés par cette unique entorse aux dispositions canoniques. On remarquera que la reprise se fait sur une rime masculine riche (incictenf, regardant, président) opposant l'impuissance des plaideurs à la morgue et à l'avidité du juge qui se prend pour un des plus hauts dignitaires du royaume : un président du Parlement. De façon plus subtile, cette rime reprend le thème du litige, énoncé au v. 4 :

« A l'égard de la dent il fallut contester ».

C'est bien cela qui va être tranché « d'un ton de président » : on voit toute la virtuosité du fabuliste, son invention et sa fantaisie. Le signifiant « dâ» est un des éléments qui assurent les transitions dans la fable. On le retrouve sous l'accent aux v. 4, 15, 16 (Dandin), 18, 19 et on en saisit des variantes, toujours nasalisées, dans les phonèmes « t » (Perrin, Dandin), « a » (gravement, dépens, en, en, argent). Il y a bien là les caractéristiques de la suavitas que L. Spitzer trouvait chez Horace et La Fontaine.

Cette richesse sonore à elle seule démarquerait le ton de La Fontaine, toujours au service de l'humour, de la platitude de Boileau. Notons les plus remarquables des recherches phoniques du texte. L'alternance des rimes féminines et masculines est bien sûr respectée, mais des liaisons sont établies entre elles : la dentale « t » se retrouve comme consonne d'appui aux rimes des v. 1, 2, 3 et 4. L'ensemble « tr » et « rt » unit les rimes des v. 1 , 2, 3. Pour le quatrain suivant, la semi-voyelle et la voyelle sont communes aux rimes masculines et féminines ; la consonne finale de la rime masculine est présente comme consonne d'appui à la première rime féminine : proie/ savoir/Joie/ apercevoir. Cette disposition en miroir de la consonne d'appui n'aurait-elle pas à voir avec une structure du double sous-jacente à la fable : deux plaideurs interchangeables, deux écailles données pour parfaitement égales ? Dans les distiques de rimes plates, les deux adversaires se disputent les rimes comme ils font l'huître : ils se reprennent mutuellement la rime vocalique en « i » sous ses deux variantes masculine et féminine : merci/aussi, vie/sentie. Mais rien n'est lourd : le poète joue de la discordance entre mètre et articulations du dialogue pour donner au premier pèlerin la première rime masculine et la deuxième féminine, au deuxième la deuxième masculine et la première féminine. La distorsion entre mètre, syntaxe et tour de parole est recherchée pour produire un effet de vivacité et d'inattendu qui relance l'intérêt. S'y oppose en revanche le calme imperturbable du quintil et du distique à rimes plates exprimant l'arrêt de « la cour ». Là les deux vers forment une seule phrase, à peine troublée par le rejet de « sans dépens ». La rime riche (écaille/s'en aille) est encore enrichie par le rappel disséminé dans les deux vers de la consonne d'appui : cour, chacun, écaille, qu'en, chacun. La répétition au début du deuxième hémistiche de chacun souligne la cohésion sonore et sémantique des deux vers.

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