SINDBAD,

BELGE

Un entretien avec Khiti

BENHACHEM

et Mehrdad TAGHIAN

Hommes & Migrations -Comment votre émis¬ sion est-elle née ?

Khiti Benhachem.-C'est une longue histoire. Au début, il y avait les Italiens -les Polonais étaient en Belgique avant eux, mais les Italiens étaient sept cent mille, installés essentiellement en pays franco¬ phone dans les mines de Wallonie. En 1964, ils ont lancé une émission de radio à Liège : "La Wallonie accueille des étrangers" , qui a impulsé tout une série d'émissions du même type adressées aux diffé¬ rentes communautés immigrées de Belgique : grecque, espagnole, polonaise, yougoslave, portu¬ gaise, puis arabe.

Ce sont également les Italiens qui ont inauguré en 1971 la première émission de télévision adressée à des immigrés : "Ciao amicis" (Salut les amis), qui a ouvert la voie dès 1974 à une émission télévisée espagnole, puis arabe, "Para vosotros" et "Ilay-koum" (Pour vous). Je m'occupais du programme arabe qui était une émission de service adressée exclusivement aux Maghrébins et dans leur langue, sans même des sous-titres. Il s'agissait de leur expli¬ quer comment décoder la société belge (le chômage, la mutuelle, le travail, la législation, etc.), car cette émigration arrivée en 1965 était composée essentiel¬ lement de Marocains analphabètes. L'émission était diffusée une fois par mois, dans un "trou", le samedi à 10 heures ; un endroit de la grille qui ne dérangeait pas les Belges.

Puis, petit à petit, le programme a évolué par la force des choses. Il s'adressait au départ aux parents, mais les enfants grandissaient au fur et à mesure, entraînant progressivement un changement de la

morphologie de l'émission. On s'est mis à rencon¬ trer des jeunes parlant français et socialisés en Bel¬ gique auxquels il n'était plus concevable de s'adres¬ ser uniquement en arabe. Ensuite, on a versé vers le reportage parce qu'il ne s'agissait plus de décoder la société mais de montrer la vie et les difficultés de ces jeunes qui commencent à avoir des problèmes et à en poser aussi. Notre émission a donc suivi sponta¬ nément cette évolution jusqu'à l'année dernière, quand il y a eu une explosion des jeunes dans un quartier de Bruxelles.

Pendant des années on n'entendait pas parler en Belgique de la communauté maghrébine. C'étaient des gens qui travaillaient sans poser de question particulière à la société belge. Ces Maghrébins vivant en circuit fermé, avec leurs djellabas, leurs foulards, etc., ne dérangeaient pas. Mais à partir du moment où leurs enfants ont été dans la société et se sont mis à revendiquer des choses au niveau de l'enseignement et du boulot, et que la crise est arri¬ vée, on a commencé à parler des immigrés. La police et la gendarmerie se sont mis à multiplier les contrôles inopinés, discourtois, répétitifs auprès de ces jeunes.

Dans un pays aussi calme que la Belgique cela a provoqué un effet de choc. Les décideurs politiques ont commencé à s'interroger sur les réponses à don¬ ner. Au niveau de la RTBF, les responsables se sont aperçus qu'ils avaient un outil, l'émission "Ilay-koum", qui fonctionnait avec son public maghrébin. L'administrateur général, Robert Stéphane, qui est à la base de toutes les programmes adressés aux immi¬ grés depuis 1964, est venu nous voir.

N° 1157 /SEPTEMBRE 1992

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