Théories des études féministes : quelques expériences contemporaines en Europe

Rosi Braidotti

Le but de ce texte est de souligner quelques débats théoriques récents sur les études féministes et de les inscrire dans le contexte européen où la diversité des expériences politiques et culturelles conjuguée aux différentes caractéristiques et particularités nationales peuvent faire l'objet de comparaisons intéressantes. La lecture du rapport réalisé par Les Cahiers du Grif1 à la demande de la Commission des Communautés Européennes sur la situation actuelle des études féministes en Europe occidentale est à cet égard très éclairante. Ce document, le premier du genre, dresse l'inventaire des progrès accomplis et des obstacles rencontrés dans le développement de ce domaine de recherche en Europe de l'Ouest. A la lecture, j'ai toutefois été très surprise par la récurrence de ce que je serais tentée d'appeler «le récit des origines» qui ponctue les comptes-rendu de l'expérience des études féministes dans chaque contexte national. Où, quand, comment «cela a-t-il commencé ?, qui était la première ? : ces questions circulent dans toutes les contributions même si des différences culturelles et politiques distinguent nettement les entités nationales dans lesquelles se déroule ce débat. Tout se passe comme si la quête d' un récit «authentique» des commencements devait fournir une sorte de légitimation politique aux pratiques théoriques des groupes concernés. Comme si les femmes engagées comme sujets dans ce récit historique - la création des études féministes dans les universités d'Europe occidentale au cours des quinze dernières années - se sentaient obligées d'authentifier et de légitimer leurs pratiques. En dépit de l'énorme quantité de documentation et de recherche rassemblée dans la plupart des pays d'Europe de l'ouest sur les origines des mouvement de femmes, il doit subsister une profonde insécurité, un sentiment d'illégitimité pour qu'autant de femmes ressentent la nécessité de «retourner aux origines» chaque fois qu'elles ont à rendre compte de ce que sont, exactement, les études féministes. Je crois que le jour où nous cesserons de justifier notre existence, nous marquerons un pas en avant définitif dans la perception de notre identité collective en tant que mouvement intellectuel. 29