LA FORMATION PROFESSIONNELLE
INITIALE DES OUVRIERS
ET L'ÉVOLUTION DU TRAVAIL INDUSTRIEL
par Philippe Mouy
Pour répondre à l'évolution du travail qu'entraînent les mutations de l'appareil de production,
le système scolaire met en place de nouvelles filières
de formation professionnelle des ouvriers ou modifie les anciennes.
Selon quelle logique, avec quelles finalités et quels résultats ?
Pour le savoir, il est nécessaire d'analyser dans une perspective historique comment se sont constituées
et comment coexistent les trois filières de formation des ouvriers :
l'apprentissage, le CAP scolaire et le BEP.
Les certificats d'aptitude professionnelle (CAP) et les brevets d'études professionnelles (BEP) de sections industrielles sont reconnus, en France, comme constituant la formation de base des ouvriers qualifiés. Depuis longtemps, leurs titulaires semblent bénéficier d'une situation relativement privilégiée sur le marché du travail : en général, ils parviennent à se faire embaucher dans leur spécialité de formation et les fluctuations de la conjoncture économique les atteignent moins directement que les autres travailleurs.
Or, aujourd'hui, la situation de l'enseignement professionnel apparaît contradictoire. D'un côté, c'est le gonflement des flux : depuis une vingtaine d'années, ce type de formation a le plus profité de la prolongation de la scolarité (phénomène maintenant plus accentué pour les BEP que pour les CAP), au détriment des sorties de jeunes sans formation professionnelle. De l'autre côté, une certaine désillusion se fait jour : l'avantage relatif des élèves du technique court semble se réduire ; les conditions d'insertion professionnelle deviennent plus difficiles. L'adéquation des connaissances acquises par les jeunes travailleurs au procès de travail fait davantage problème.
Ces contradictions sont-elles des « effets pervers » à la fois « normaux » et fréquents, inhérents à tout système de formation, ou bien sont-elles les symptômes d'une transformation plus profonde des « besoins » de l'appareil productif (du fait, à la fois, du développement technologique, des transformations de l'organisation du travail et des conflits d'intérêts entre classes sociales) ?
De fait, « l'enseignement technique court public français apparaît en crise. Écartelé entre les exigences de spécialisation et de polyvalence, polarisé par le modèle dominant de
l'enseignement général » [1], il manifeste des difficultés à définir les conditions scolaires de la production d'une force de travail ouvrière. Indépendamment de la situation économique actuelle, qui voit notamment s'élever la masse des chômeurs parmi les jeunes ouvriers, les certitudes placées dans la solidité des filières de l'enseignement technique court commencent à s'ébranler. Plus généralement, on assiste à un éclatement de la réflexion sur l'ensemble de la formation professionnelle : l'importance accrue prise par la formation post-scolaire (formation professionnelle continue, mesures en faveur de l'emploi des jeunes, stages de reconversion, etc.) remet en question le statut de la formation initiale. Par ailleurs, les bases de référence pour l'évaluation prévisionnelle des « besoins » en formation professionnelle sont critiquées : le constat de leur fragilité a conduit les experts, depuis le VIIe Plan français, à passer « d'une approche normative (planification de l'éducation en fonction des « besoins » de l'économie) à une optique résolument tendancielle (prolongation des tendances passées et analyse de leur compatibilité) » [2]. Enfin, le consensus sur la définition de nombreuses qualifications professionnelles s'effrite. Dès lors, émergent à nouveau des questions essentielles concernant les fondements d'une formation professionnelle scolaire et ses finalités : quelles formations ? Comment ? Pour quoi faire ? Pour y répondre, il est nécessaire de ne pas se limiter au diagnostic de la situation actuelle et de prendre une perspective historique : selon quelles modalités et en référence à quels systèmes de travail s'est constitué un ensemble d'institutions éducatives, qui conduit au même niveau V de formation, mais
Les numéros entre crochets renvoient à la bibliographie en fin d'article.
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