L'IRONIE ET LA BIBLE

Je voudrais montrer en quel sens on peut dire que la Bible dans son ensemble est un témoignage d’ironie, en comprenant l’ironie en profon¬ deur, comme Kierkegaard nous invite à le faire *. On sait que Kierke¬ gaard distingue deux sortes d’ironie : l’une, selon le sens courant du mot, qui est un genre de moquerie des autres, où le JE de l’ironiste s’exalte et s’émerveille de son pouvoir ; l’autre, plus difficile à décrire mais discrètement à l’œuvre dans le monde, qui est un moyen, comme chez Socrate, de faire accéder quelqu’un à la vérité.

Mon idée principale est celle-ci. La foi chrétienne dans le monde, selon le NT, comme aussi la foi des Israélites au milieu des autres peu¬ ples, selon l’AT, implique une réserve et un certain retrait à l’égard du système en cours. J’appelle ici «système », la manière de voir générale¬ ment admise dans une société, manière de voir toujours plus ou moins contraignante (chaque système créant son genre de contrainte), mais ce¬ pendant acceptée et pratiquée, peut être même sacralisée, d’ailleurs sé¬ curisante et donnant sa cohésion au comportement de tous. Autrement dit, le système est le conditionnement du sérieux, tel qu’il est vécu à une époque, comme interprétation englobante, au-dessus de tout soup¬ çon. C’est «le monde » qu’il ne faut pas aimer, selon l’Evangile de Jean, ou «ce siècle » auquel Paul, dans l’Epître aux Romains, recommande de ne pas se conformer.

Je voudrais montrer que ce retrait de la foi à l’égard de ce qu’il est convenu d’appeler «les choses sérieuses » n’est pas n’importe quel re¬ trait (car il n’est pas de l’indifférence, ni de l’incompétence, ni de la suf¬ fisance, ni de l’hostilité) mais qu’il est un acte de liberté très particulier dont la nature est l’ironie. C’est l’objet de cet article.

Mais tout d’abord je dois me demander pourquoi l’ironie, en tant que telle, paraît au contraire singulièrement absente de la Bible. Le mot ne s’y trouve pas. Aucun mot hébreu ni grec n’y fait référence. La mo-

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