Tradition canonique et esprit réformiste à la fin du XIXe siècle en Chine
La résurgence de la controverse jinwen/guwen sous les Qing
Anne Cheng1
On commencera sans doute par se demander ce qui a bien pu m'autoriser à m'aventurer dans cette période résolument moderne de l'histoire chinoise, alors que mon travail a porté jusqu'ici essentiellement sur la pensée antique2. C'est précisément un travail de recherche, entrepris il y a des années, sur les courants intellectuels de la dynastie Han (206 av. J.-C.-220 ap. J.-C.), et tout particulièrement sur la fameuse controverse entre versions des Classiques confucéens en «écriture nouvelle » (jinwen ) et en «écriture ancienne » (guwen), qui m'a amenée à m'interroger sur sa résurgence, selon toute apparence anachronique, près de deux millénaires plus tard. Pour ajouter au paradoxe, ce phénomène de résurgence, observable dès la fin du xvinc siècle, devait devenir un élément central dans le mouvement de réformes sans précédent qui ébranla les institutions impériales un siècle plus tard. En d'autres termes, ce qu'il y a de remarquable dans ce phéno-
1 Anne Cheng est Chargée de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique, URA 1067, 22 avenue du Président-Wilson, 75116 Paris.
2 Cet article a bénéficié de l'expertise de Jérôme Bourgon, Marianne Bastid-Bruguière, Yves Chevrier et Pierre-Étienne Will, qui ont pris la peine de le lire et de suggérer de salutaires modifications. Qu'il me soit permis de leur expri¬ mer ici ma reconnaissance, sans que ma responsabilité pour les erreurs de toutes sortes en soit nullement diminuée.
Études chinoises , vol. XIV, n° 2, automne 1995
