Fermetures d'usines et durées sans emploi : signaux et
comportements de recherche d'emploi au Canada
David M. Gray(*} Gilles Grenier(*}
(*) Département de science économique, université d'Ottawa, C.P. 450, Station A, Ottawa (Ontario), Canada KIN 6N5.
Une version préliminaire de ce texte a été présentée au congrès de la Société canadienne de science économique tenu à Ottawa en mai 1994, aux Journées de micro-économie appliquée tenues à Marseille en juin 1994, et au congrès de l'Association canadienne d'économique tenu à Calgary en juin 1994. Les auteurs remercient tous les participants pour leurs commentaires, de même que Julian Betts et deux rapporteurs anonymes. Les erreurs et omissions éventuelles demeurent évidemment de leur entière responsabilité.
Économie et Prévision n° 1 13-1 14 1994/2-3
Les licenciements et les déplacements de travailleurs sont encore, au début des années quatre-vingt-dix, des événements économiques majeurs. Étant donné les coûts d'ajustement élevés auxquels beaucoup de travailleurs déplacés font face, le débat sur les politiques appropriées pour leur venir en aide demeure très vif et a des implications dans des domaines aussi variés que le commerce international, l'assurance chômage, la formation de la main-d'œuvre et la politique industrielle. En réponse à ces préoccupations, une littérature abondante est apparue qui a cherché à tester diverses hypothèses concernant le comportement des travailleurs déplacés et l'environnement dans lequel ils agissent.
Un sujet qui a retenu l'attention est l'étude des conséquences d'une perte d'emploi due à une fermeture d'usine relativement à une perte d'emploi dans le cas où seule une partie des travailleurs d'une usine est licenciée. Plusieurs études américaines ont montré que les travailleurs déplacés suite à une fermeture d'usine trouvent plus rapidement un nouvel emploi, ceteris paribus, que ceux qui sont déplacés suite à un licenciement n'affectant qu'une partie des travailleurs. On pense que cet effet opère par la voie des anticipations de rappel et de leur influence sur l'intensité de la recherche d'emploi : la possibilité d'un rappel étant alors très faible, les travailleurs concernés commencent leur recherche d'une nouvelle embauche plus tôt, ce qui a pour effet de réduire la durée passée sans emploi (Katz, 1986 ; Katz et Meyer, 1990). Ce comportement est à la base de la recherche menée récemment aux États-Unis dans le contexte de l'importante question politique du préavis obligatoire d'un licenciement^.
Il existe cependant une autre interprétation de la relation entre la cause de la perte d'un emploi et le temps mis à en trouver un nouveau. Gibbons et Katz (1991) soutiennent que cette relation peut être le résultat d'un effet de signal ou de "canard boiteux" (2). Selon ce paradigme, des services de travail hétérogènes s'échangent dans un monde d'information asymétrique où les employeurs potentiels connaissent moins la productivité des travailleurs que leurs employeurs actuels. Quand ces derniers sont libres de choisir les travailleurs qui vont être congédiés, un signal est émis, sur le marché externe, indiquant que ceux-ci ont une faible productivité relative (autrement dit, qu'ils sont des "canards boiteux"), ce qui a pour effet de prolonger la durée de leurs périodes subséquentes de chômage. Cependant, dans le cas d'une fermeture d'usine, l'employeur n'a pas cette latitude étant donné que tous les travailleurs sont mis à pied, et aucun signal n'est émis. On s'attend donc qu'il en résulte pour ces derniers travailleurs, en moyenne, des durées sans emploi plus courtes que dans l'autre cas.
Cette dichotomie entre les paradigmes de signal et de recherche d'emploi peut être pertinente du point de vue de la politique économique. Si le mécanisme de signal prévaut, l'intervention gouvernementale devrait viser à améliorer les qualifications des travailleurs qui ont de
207
