Déviance et Société, 2000, Vol. 24, No 1. pp. 47-67
FOUS, PRODIGUES ET FAIBLES D'ESPRIT:
L'INTERDICTION ET LE CONSEIL JUDICIAIRE
DANS LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE D'ANGERS
1820-1835, 1880-1883
T. NOOTENS*
Les archives de procédures judiciaires civiles, l'interdiction et l'octroi de conseil judiciaire, jettent un éclairage nouveau sur trois catégories de conduites hors normes sanctionnées par la justice civile au XIXe siècle: la folie, la faiblesse d'esprit et la prodigalité. Les définitions données par les juristes de ces « affections » permettent de constater toute l'étendue du champ de conduites déviantes susceptibles d'être punies par une perte totale ou partielle des droits de l'individu fautif. Le recours à la justice civile n'était cependant qu'un rouage, peut- on croire, des multiples modes de régulation de ces transgressions de normes. Mais ce même recours constituait un espace de règlement de la déviance dont la famille était l'actrice principale. De surcroît, les proches mettaient en œuvre, avant ou en deçà du transfert du conflit sur la scène judiciaire, diverses stratégies pour «gérer» la présence de l'individu déviant. L'État et les instances administratives locales faisaient plutôt sentir leur influence au plan institutionnel et dans la prise en charge de personnes à caractère très problématique pour la communauté (certains malades mentaux en état de «fureur» ou dangereux). L'analyse permet, en fin de compte, de mieux situer les rôles respectifs de la famille, de la justice et de l'appareil étatique dans la régulation sociale de diverses déviances au XIXe siècle.
Mots-clés: Interdiction - Conseil judiciaire - Folie - Prodigalité - Faiblesse d'esprit
A.-J. Arnaud, dans son ouvrage Essai d'analyse structurale du code civil français (1973), présente celui-ci comme un jeu d'échanges, avec ses catégories de joueurs aux différents statuts, ses règles, ses mises (les biens, essentiellement) et ses gages (le mariage, les aliments, les successions et différents types de sûretés dont la responsabilité)1. Parmi les joueurs en lice en 1804, on compterait l'homme majeur, la femme majeure, la femme mariée, le mineur, l'interdit et le mort civilement: «... les individus sont classés, leurs rapports très strictement définis
Département d'Histoire, Université du Québec à Montréal et Centre d'histoire des régulations et des politiques sociales (HIRES), Université d'Angers. Arnaud, 1973, 59. Le présent article est issu d'un DEA d'histoire réalisé à l'université d'Angers, au Centre d'histoire des régulations et des politiques sociales (HIRES). L'auteur aimerait exprimer sa profonde reconnaissance au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) pour la bourse doctorale octroyée, au Fonds pour la formation des chercheurs et l'aide à la recherche (FCAR, Québec) pour l'aide financière pour stage en France accordée au centre d'histoire des régulations sociales de l'UQAM par le biais de l'action concertée FCAR-MEQ- MRI, ainsi qu'aux professeurs Jacques-Guy Petit et Jean-Marie Fecteau pour leurs très utiles critiques et suggestions.