CHEF
THOMAS JEFFERSON :
D'ÉTAT, VIGNERON, ŒNOPHILE
Lorsqu'on célébrait en 1987 le bicentenaire du voyage de Jefferson en Bourgogne et dans le midi de la France un marchand de vin parisien lança une cuvée Jefferson l. Pourquoi cet hom¬ mage à un Américain qui avait été, deux siècles auparavant, ministre plénipotentiaire des États-Unis en France ? C'est qu'en 1822 Thomas Jefferson (1743-1826) avait écrit à un correspon¬ dant que «dans les pays où l'on consomme d'ardents spiritueux le grand vice est l'ivrognerie ; mais dans ceux où l'on fait du vin à usage ordinaire il n'y a pas d'ivrognes » 2. Le marchand de vins, en l'occurrence Lucien Legrand, avait pris note et vendu ainsi (à bon prix) un excellent mercurey. L'auteur des mots qui l'inspirèrent était sans conteste l'un des plus grands connaisseurs américains de vins de son temps.
Aujourd'hui, aux côtés de l'un des «pères fondateurs » de sa nation, de celui qui fut gouverneur de sa Virginie natale, ministre des Affaires étrangères sous Washington, vice-président, puis président des États-Unis à deux reprises, président de l'American Philosophical Society dix-huit ans durant et fondateur de l'Uni¬ versité de Virginie, se détache un autre personnage. C'est celui du «sage de Monticello » (du nom de la propriété virginienne où il passa les moments les plus heureux de sa vie) doublé de celui du physiocrate féru d'agriculture, convaincu que l'avenir de l'Amérique résidait dans l'exploitation de ses terres. Il s'adon¬ nait avec persévérance à toutes sortes de cultures, dont la vigne,
1. Ce bicentenaire fut l'occasion d'un colloque organisé par Michel Baridon et Bernard Chevignard à l'Université de Bourgogne sur Voyage et tourisme en Bourgogne à l'époque de Jefferson. Les actes ont été publiés sous ce titre en 1988 par les Éditions universitaires de Dijon. Voir en particulier M. Baridon, «Les méthodes d'observation de Jefferson » (p. 117-130) et B. Fink, «Thomas Jefferson's palatable pleasures» (p. 131-140).
2. Lettre écrite à Samuel Maverick le 12 mai 1822, citée dans E. M. Betts, ed. Thomas Jefferson 's Garden Book (Philadelphia, American Philosophical Society, 1985), p. 600. Dorénavant cité Garden Book. Comme pour toutes les citations d'un texte en anglais, la traduction est de moi.
DIX-HUITIÈME SIÈCLE, n° 29 (1997)
