CLISTHENE, LE PORC ET L'ANE

Le seul texte que nous possédions sur l'œuvre intérieure de Clisthène, tyran de Sicyone, celui d'Hérodote (1), est fort connu et a été abondamment commenté (2). Je ne reviendrai pas ici sur les mesures religieuses ; seule la réforme des «tribus» fera l'objet d'un réexamen, justifié par le fait qu'aucune explication convaincante n'en a encore été proposée.

I.

Si l'on veut y voir clair, il faut distinguer absolument, au sujet de l'activité de Clisthène, la représentation que s'en fait Hérodote et ce qu'elle fut réellement. L'importance de cette distinction a été clairement sentie par Ed. Will, qui revient sur ce point à plusieurs reprises : «II importe moins ici de dégager le sens réel des mesures de Clisthène que de constater que le texte d'Hérodote ...» (p. 41) ; «c'est la pensée réelle de l'historien, si superficielle qu'elle soit, qui, ici encore, doit nous retenir ...» (p. 43) ; «il nous faut en réalité reconstituer si possible le cheminement de la pensée d'Hérodote» (ibid.). A ce stade, il convient donc d'être, à l'égard de l'historien grec, uniquement compréhensif, et à l'égard des modernes, toujours susceptibles d'infléchir sa pensée en fonction de leur propre logique, constamment critique. Ce n'est pas si facile : le raisonnement d'Hérodote est si ténu et si bizarre que l'on est souvent tenté de venir en renfort et de modifier certains détails pour sauver la structure.

Pour Hérodote, la réforme de Clisthène concernant lesjtribus aurait consisté uniquement en un changement de leurs noms (уетеЗаАе es a A A a oúvoycÍTa )• II n'a pas ajouté de tribu supplémentaire : le texte implique que celle qui prit le nom ďArchelaoi, la propre tribu du tyran, existait déjà (3). Quant aux intentions de Clisthène, elles seraient, selon la lecture que Will fait d'Hérodote, uniquement anti-argiennes ; s'il change les noms des tribus, c'est purement et simplement, dit Hérodote, «afin bien sûr qu'ils ne soient plus les mêmes à Sicyone qu'à Argos» .

Mais les choses ne sont pas si simples. La représentation d'Hérodote ne se réduit pas à ce qu'il écrit ; elle comprend aussi, comme toute représentation, une part d'implicite, d'informulé, qui n'est pas la moins intéressante. Will n'a d'ailleurs pas manqué d'examiner les implications de la phrase où Hérodote indique que l'Athénien, lui aussi, apparemment, méprisait les Ioniens. Pour lui, ceci n'entraîne pas que le Sicyonien fût conçu par l'historien grec comme méprisant les Doriens. Effectivement, les deux phrases parallèles sont uva on VU au aûxal ешаи тоСаь Euku-

шуьо^ао исхи Touau ч'Аруеьо.иаь et и va yn асрьаи аи аитаь еазац ср и A a l и а и Itoau; donc ce sont les Argiens qui sont au Sicyonien ce que les Ioniens sont à l'Athénien. Jusque là, Will a raison ; mais on ne peut en rester là. Ce parallèle est d'ailleurs en partie inexact, les rapports affectifs étant différents : l'Athénien méprise ( ôïïepuôwv ) les Ioniens ('entendons : ceux d'Asie), le Sicyonien hait et combat ( TioAeynaas)les Argiens. En outre, ce qu'il y a de commun entre Sicyoniens et Argiens, ce n'est pas autre chose, pour Hérodote, que le «fait dorien» ; s'il veut détruire cette