Paul-Louis Colon
Écouter le bruit, faire entendre la gêne
Notre démarche se situe au carrefour de deux thématiques de recherche qu''elle tente d''articuler1. La première est la question de la gêne liée au bruit. Largement dominé par une expertise acoustique et psychoacoustique, que ce soit au niveau de la recherche ou de l''intervention publique, le bruit fait cependant depuis une trentaine d''années l''objet de recherches en sciences sociales2. Partant du constat, établi par plusieurs travaux de psychoacoustique, de la faible corrélation entre le niveau de bruit auquel un individu est exposé et la nuisance déclarée, des chercheurs ont tenté de préciser les autres paramètres qui interviennent dans la gêne sonore. Ils ont pour ce faire travaillé avec une notion de bruit non plus réduite à sa dimension d''énergie acoustique mais intégrant également une dimension symbolique et contextuelle de phénomène sonore indésirable3. Ont été mis en évidence, parmi les facteurs influant sur la gêne, le jugement de normalité porté sur le son4, le contexte relationnel interpersonnel (dans le cas du bruit de voisinage) 5, le mode de gestion du problème et l''attitude des acteurs institutionnels face aux riverains (dans le cas du bruit autour des aéroports) 6, l''attachement au territoire et l''investissement dans la vie locale (également en ce qui concerne le bruit des avions) 7.
La seconde thématique concerne ce que l''on pourrait nommer l'' «expérience auditive ordinaire » , c''est ! à-dire les savoirs et savoir-faire liés à l''écoute dans la vie courante. Cette question trouve elle aussi sa source dans la question du bruit et des nuisances sonores, mais elle s''est développée précisément dans un mouvement visant à se détacher de la problématique de la nuisance. Soucieux de resituer la question du bruit dans un contexte plus large, des chercheurs (principalement ceux du CRESSON à Grenoble) ont tâché d''explorer les aspects positifs de l''environnement sonore. Dans cette perspective, la question du bruit s''est rapidement révélée un obstacle, car elle constituait le seul registre d''expression des acteurs sur la dimension sonore de leur vécu, tandis que les relations autres que 95
