Aurélie Billebault

« Pardonnez-nous nos offenses... »

Sur les atteintes à la déférence envers le chef de l'État dans la France du XIXe siècle

On n'offense que Dieu, qui seul pardonne. Verlaine, Sagesse

24 mars 1833 : les élèves sont en récréation dans la cour du collège royal de Versailles. Ils s'évertuent à faire une imposante boule de neige, qu'ils sculptent et façonnent pour peaufiner leur chef-d'œuvre. Le résultat de cette détermination ? Une auguste poire trônant au. milieu de leurs mines réjouies. La contemplation est de courte durée : ils se pressent bientôt autour de l'effigie et entament une danse endiablée en entonnant des chansons révolutionnaires. La sanction sera brutale. L'insolite mise en scène conduit « le plus mutin des élèves 1 » en prison. Le fait n'est plus divers. Il devient un acte politique. Le jeu enfantin s'est transformé en délit. Et presque en affaire d'Etat : quelques jours plus tard, un rapport est adressé au ministre de l'Instruction publique et au ministre de l'Intérieur, dans la crainte d'une interpellation à la Chambre. La poire, depuis le célèbre portrait-charge de Louis-Philippe esquissé en 1832 par Charles Philipon2, résonne bruyamment dans l'imaginaire d'une monarchie aux aguets. Sommés de manifester leur dévouement à la personne du roi, les élèves avaient trahi sa confiance par l'irrespect de leur joyeuse insoumission. La défiance ne pouvait que se substituer à ce manque de déférence.

Le politique est constamment suspendu à la mise en scène. Il faut séduire puis captiver et fasciner : en un mot, transformer l'allégeance en croyance3. L'activité gouvernante use de tous les ressorts de la dramaturgie pour préserver un rang, accroître des ressources, fixer des attentes. Que l'illusion se dissipe et le règne expire. Les élèves du collège royal de Versailles ont opté pour un comportement proscrit, en substituant la geste de l'affront à celle des égards et de la vénération. Précisément parce qu'il concerne le roi, ce délit va, dans le contexte d'un pouvoir contesté, être dramatisé. La parodie se transforme alors en offense, soit en une infrac-

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