L'ESPACE ENTRE DÉSACRALISATION ET CONSÉCRATION
Jean-Luc Piveteau
Parmi d'autres1, bien sûr, deux jugements vigoureux et partiellement contradictoires ont été portés sur le mouvement, fondamental et progressif, de désacralisation/sécularisation qui marque les quatre millénaires de judéo-christianisme. Jacques Ellul (1982) parle d'un « monumental échec », et Marcel Gauchet (1985) affirme que « la séparation du visible et de l'invisible, pour l'essentiel, est accomplie » : réussite unique, donc, que cette religion, le christianisme, qui a su « sortir de la religion ».
L'exposé qui suit s'articulera en deux volets. Dans une première partie seront très brièvement repris les deux diagnostics posés par Ellul et Gauchet. Non pour trancher entre leurs positions, mais pour se demander s'ils ne s'arrêtent pas, l'un comme l'autre, à mi-course. Dans la seconde partie seront esquissées les implications de la conciliation proposée. La géographie devrait pouvoir apporter une contribution, au moins marginale, à ce débat théologico-historique.
Une double lecture de la désacralisation inachevée
Notre sociologue-théologien (Ellul) et notre philosophe-historien (Gauchet) représentent beaucoup plus que leurs personnalités respectives, déjà fortes par elles-mêmes. A travers eux, ce sont en fait deux tendances interprétatives majeures que je choisis de rappeler.
L'analyse du premier (je me réfère à son article de 1982, dans Corps écrit : « La désacralisation par le christianisme et la sacralisation dans le christianisme »), et celle du deuxième (exposée dans Le désenchantement du monde, paru en 1985)2, convergent sur le fondamental : la
Jean-Luc Piveteau est professeur de géographie humaine à l'Université de Fribourg
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