Couverture fascicule

Martha

[article]

Année 1986 11 pp. 53-56
doc-ctrl/global/pdfdoc-ctrl/global/pdf
doc-ctrl/global/textdoc-ctrl/global/textdoc-ctrl/global/imagedoc-ctrl/global/imagedoc-ctrl/global/zoom-indoc-ctrl/global/zoom-indoc-ctrl/global/zoom-outdoc-ctrl/global/zoom-outdoc-ctrl/global/bookmarkdoc-ctrl/global/bookmarkdoc-ctrl/global/resetdoc-ctrl/global/reset
doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw
Page 53

MARTHA

Katia Brun

La période de la dictature militaire en Uruguay constitua une parenthèse de douze ans au sein d'une démocratie exemplaire. Pour la plupart des citoyens de classe moyenne qui connurent alors la prison, ce fut également une parenthèse douloureuse et apparemment dépourvue de sens. L'image la plus courante pour décrire cette période est celle du temps qui s'arrête, de la vie entière qui paraît se réduire à ce moment d'enfermement angoissant. Pour d'autres personnes, ce fut la mort.

Il est difficile de parler de ces années horribles sans tomber dans des descriptions morbides ou dans un sentimentalisme bon marché.

L'histoire suivante constitue un morceau de vie dans une caserne de Montevideo, en 1972.

Il était environ huit heures du soir. Rosa et moi étions assises sur les planches qui nous servaient de lits, au fond du long dortoir, une ancienne infirmerie, et nous discutions. Des rumeurs circulaient, selon lesquelles une prostituée viendrait faire partie de notre groupe. Nous nous demandions pourquoi : jusque-là les « politiques » et les « droit commun » n'avaient jamais été mélangées. S'agissait-il de quelqu'un chargé de nous espionner ? Mais dans ce cas-là, ils n'auraient pas dit que c'était une prostituée...

Tout à coup, la porte s'ouvrit et deux P. F.1 entrèrent, traînant une jeune femme qui criait et se débattait. Le temps de traverser les quinze mètres qui nous séparaient de l'entrée, et cela avait tourné à la scène de folie. La nouvelle venue se roulait par terre et se plaignait de fortes douleurs au ventre. L'une des nôtres la giflait pour... lui faire reprendre ses esprits ! Le spectacle était cruel. Les longs mois d'enfermement et de souffrance avaient usé notre sensibilité, mais pas au point de pouvoir rester impassibles.

Rosa et Nelly (qui était infirmière) s'approchèrent et essayèrent de calmer les deux femmes. Moi, je regardais, un peu perdue. Rosa et Nelly emmenèrent la jeune fille — que nous supposions être la prostituée — jusqu'à un des lits vides. Elle se tordait et gémissait. S'agissait-il d'une

53

doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw
doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw
doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw