Le ton Heine

Invité à participer aux journées Heine, une voix, qui par chance n'est pas uniquement la mienne, priée d'indiquer le titre de la communication envisa¬ gée, a prononcé les deux iambes : der Hei/ ne-Ton, me suggérant sans doute que je trouverais bien quelque chose à raconter sous un titre aussi général, à propos d’une si banale notion.

Mal m'en a pris : à mesure que la déterminité de cet intitulé se dévelop¬ pait dans mon esprit, je voyais fuir les évidences pronostiquées, et telle cer¬ taine figure de Zur Geschichte der Religion und Philosophie , un malin génie plus domestique que nocturne s'employait toujours à remettre en désordre ce que j'avais péniblement rangé dans des catégories connues ou communicables. Je finis par penser qu’il serait au moins possible de com¬ mencer par cette expérience socratique : “le ton Heine” est quelque chose de si connu qu'on ne parvient pas à en parler... penchons-nous donc sur ce trouble.

Ce malaise a duré jusqu'au jour où la bonne fée de l'histoire réelle est venue à ma rescousse de l'étonnante façon qui suit.

Das Tongeschirr des Herrn Pottier

Il se trouve qu'un collègue germaniste de Limoges, patrie de la délicate porcelaine1, sous prétexte de fournir aux étudiants quelques éclaircisse¬ ments sur une des questions du programme de l'agrégation, a produit l'an passé pour les Nouveaux Cahiers d'allemand, un long texte constitué de dix leçons sur la résistance catholique au national-socialisme.

Concerné par la deuxième de ces leçons, pour avoir écorché le prénom du résistant Kurt Huber et écrit que les membres du groupe dit de la “Rose blanche” avaient été décapités à la hache, alors qu'ils ont été guillotinés, je me suis penché de plus près sur ce texte, et en particulier j'ai lu d'un œil plus attentif les innombrables notes dont l'auteur avait émaillé son article : et voilà que j'y ai trouvé, plus ou moins rangé dans mon camp, c’est-à-dire parmi les colporteurs d'informations fausses, non seulement le nom de Henri Heine mais son epitheton ornons équivoque : “ce farceur de Henri Heine”.