La dimension du mythe biblique de Caïn chez Nelly Sachs

Parmi les formes multiples, inventives et variées, que peut revêtir le pou¬ voir, il est un mode d'accession à la puissance particulièrement redoutable et radical : celui qui donne libre cours à la force, à la violence physique pour gagner prise sur l'autre, une violence qui peut s'exercer jusqu'au meurtre. Le récit biblique de la rivalité fratricide entre Caïn et Abel constitue, dans notre tradition culturelle, une référence exemplaire quant au surgissement de la violence dans une société humaine en devenir. L'enjeu fondamental de ce quatrième chapitre de la Genèse (1 Gn 4.1-4.24), c’est la rencontre de l'Autre, la confrontation avec l'altérité, confrontation qui va se poser immé¬ diatement en termes de reconnaissance, de prise de pouvoir sur l'autre, avec son corollaire qu'est la violence. Le présent travail s'articulera autour des grands axes suivants : relation pouvoir/violence, place essentielle du dia¬ logue, de la parole échangée dans la construction d'une distance entre le Même et l'Autre, mise en mouvement et en question du mythe par la parole poétique. Il se fondera, d'une part, sur les analyses d'André Neher sur la fonction du dialogue et du silence dans le texte biblique1, et d’autre part sur la philosophie du dialogue selon la tradition judaïque, dans la mouvance de Martin Buber et d'Emmanuel Lévinas2.

Parmi les innombrables réécritures littéraires du mythe biblique, j’ai choisi de faire porter la réflexion sur la réécriture poétique proposée par la poétesse juive allemande Nelly Sachs (1891-1970) dans un poème extrait du recueil Und niemand weiß weiter, paru en 1957. La rencontre peut, a priori, sembler étonnante. Quels peuvent être le sens et la portée de cette relecture/réécriture du mythe de Caïn par une survivante de la Shoah ? Face à l'anéantissement collectif et programmé, face au désastre de cet assassinat de masse où l'unicité du visage humain n'a plus place, ce recours au récit biblique du meurtre premier, au récit d'une violence originelle et indivi¬ duelle ne pourra qu'être compris dans une perspective historique qui est celle du survivant, avec la conscience que survivre, c'est aussi et avant tout répondre à cette question centrale : “Qu’as-tu fait de ton frère ?” Au-delà