LE “POÈTE ENGAGÉ”. DE L'EXIL ALLEMAND À LA RÉSISTANCE FRANÇAISE

Valérie PIERRE

La notion d'“écrivain engagé” s'est trouvée mondialement associée au nom de Jean-Paul Sartre après la Deuxième Guerre mondiale. Ce dernier fonda en effet au lendemain de la Libération la revue Les Temps Moder¬ nes , tribune d'une littérature qui se voulait en prise directe avec le quoti¬ dien immédiat de chacun, concernée et déterminée par les événements.

L'écrivain “engagé” sait que la parole est action : il sait que dévoiler c'est changer et qu'on ne peut dévoiler qu'en projetant de changer [...]. Pareil¬ lement la fonction de l'écrivain est de faire en sorte que nul ne puisse igno¬ rer le monde et que nul ne puisse s'en dire innocent. 1

Dans Qu'est-ce que la littérature ? il affirmait sa volonté et celle de son équipe de débarrasser la littérature et les écrivains de leurs complexes, des interdits qui les étouffaient et qu'ils s'étaient parfois eux-mêmes fixés : inconséquents et irresponsables au début de ce siècle, ils avaient dans les années 1930 pris conscience de leur historicité, puis, sous l'occupation allemande, avaient choisi la clandestinité, l'exil ou la collaboration.

C'est à partir de l'entre-deux guerres que les intellectuels français se préoccupent du problème de la participation des écrivains à la vie politique et à la lutte pour un idéal collectif. Le débat est notamment amorcé par la parution en 1927 du pamphlet de Julien Benda, La trahison des clercs, où il constate, pour le regretter, que l'intellectuel et l'artiste sont passés de l'état de “clercs”, vivant à l'écart du monde, à celui de “laïcs”, concernés par la vie sociale et politique de leurs contemporains. Benda interprétait cette entrée dans le siècle à la fois comme un choix quasi politique et comme le résultat presque obligé des modifications du tissu social 2. Dans les années